Jeannette m’ayant demandé un conte de Noël, il a bien fallu que je m’exécute.

Mais, préambule habituel, je précise qu’il n’est que le fruit de mon imagination et que, bien qu’inspiré de faits réels, du moins c’est ce qu’on dit depuis plus de 2000 ans, aucun des personnages, selon la formule consacrée, n’est le portrait de personnes existant ou ayant existé.

J’espère vivement que mes caricatures ne seront pas considérées comme étant racistes ou stigmatisantes.

La preuve :

-J’ai de très bons amis cathos

-J’ai de très bons amis musulmans

-J’ai de très bons amis juifs

Et aussi des noirs, et des gays, et des obèses, et des chétifs, et des flics, et des syndicalistes…

D’ailleurs j’aime tout le monde, c’est normal, c’est Noël.

Sauf Éric Zemmour et le Professeur Raoult.

 

CONTE DE NOEL

20 décembre 9h00   Joseph

« Volaille de merde ! « S’exclama Joseph quand il découvrit le couffin sur son paillasson.

On aura compris que sa cinéphilie était d’un genre particulier. Il n’aimait que les films de Bertrand Tavernier et encore, pas tous, ceux en costumes ! Pour faire sens, le récit devait être profondément ancré dans un contexte historique.

Il avait ainsi troqué le « Pute borgne ! » hérité de son père, piètre bricoleur, qu’enfant, il avait adopté, ravi, à l’issue d’une séance particulièrement réussie de coups de marteaux sur les doigts, contre ce juron tombé dans l’oubli, proféré par Jean Rochefort, Abbé Dubois déjanté, gambadant sur les sofas du régent Philippe d’Orleans, dans « Que la fête commence… »

Qui lui avait joué un pareil coup de Jarnac ?

La Marie Madeleine du dernier étage ? Alors, pourquoi lui ? Ce mioche devait avoir cent pères, et il s’était fait rare, ces derniers mois.

Pas faute d’envie, mais de moyens. Après les pétards, le scotch et les séances à la cinémathèque, ce qui restait de son RMI ne lui permettait plus de s’envoyer les 120 marches conduisant au 7° ciel.

Et ça perturbait son travail. Déjà que la réaction de Circé, sa directrice de thèse, avait été rien moins qu’enthousiaste à la lecture de son projet de recherche : « Des ribaudes aux courtisanes : sous les régences, par la prise en main des instruments du pouvoir, les premières étapes de la révolution féministe à travers le prisme du 7° art »

« Va falloir convaincre » avait- elle lâché, dubitative.

Joseph, qui ne l’aimait pas, pas pour ce qu’elle était mais en raison de son pouvoir sur lui, revivait l’entretien avec amertume.

Mais il ne pouvait s’empêcher d’être impressionné par son parcours, ses provocs, ses clopes, son crâne rasé, et le tatouage « mes désirs sont désordre » qui lui ourlait la base du cou, Tout ça avait de la gueule. Et il avait besoin de son soutien.

Alors il endurait son mépris à peine masqué et subissait, se sentant bien seul, ses lectures vespérales « facultatives », au milieu de son fan club de gendarmettes à la coupe légionnaire et de pompières body buildées.

Elle développait :

« En quoi les initiatives de ces travailleuses du sexe pouvaient elles être rattachées à un combat révolutionnaire ? Où étaient la conscience de classe et l’organisation de masse ? Ces femmes ont surtout contribué au maintien d’un ordre moral petit bourgeois, ce qui n’était d’ailleurs pas le moindre des paradoxes pour cette monarchie décadente ».

Et, enfonçant le clou :

« Pourquoi choisir les Régences ? quel intérêt ? Leurs orgies présentaient, certes, des petits côtés sympathiques, mais les périodes révolutionnaires auraient été bien plus intéressantes ; Olympe de Gouges, quand même ! ou la Commune et Louise Michel ! »

Il tenta d’argumenter:

« - Il y a bien eu la conspiration de Pontcallec, dans le Morbihan, il y a quand même laissé sa tête. »

Et elle, tranchante : « Une révolte fiscale ! Une affaire de bonnets rouges, tout au plus… »

On était si loin de son de domaine de prédilection : la mythologie grecque. Ça avait un autre souffle !

Riche de tempêtes, de fureurs, de passions. Un monde où Dieux et Déesses intriguaient sans cesse, copulaient gaiement, se trahissaient sans vergogne, où les alliances se faisaient et se défaisaient au gré des saisons, et, où, à leurs moments perdus, ils se distrayaient en pourrissant la vie des pauvres mortels.

Circé y cherchait, dans la représentation du monde que se faisaient les grecs anciens, non seulement les évidences du patriarcat, mais surtout, grâce aux amazones, les preuves de l’éternel combat des femmes pour leur libération.

Les nanas de « # me too » la faisaient doucement rigoler. Elles se contentaient de dénoncer les hommes qui se comportaient en porcs, alors que le seul combat légitime était celui de son fantasme secret : les transformer en pourceaux.

Aussi, le projet saugrenu de cet étudiant attardé ne rentrait pas dans le cadre.

L’encourager ? Pas question, fallait- pas trop lui en demander.

Mais, authentique libertaire, elle s’interdisait d’interdire. Pas d’autre issue que le laisser-faire, en espérant qu’il se lasse.

En attendant, ça aiderait à améliorer son image. Elle en avait bien besoin : malgré ses relations et son aura médiatique, pas un seul mâle parmi ses thésards, ça suscitait des polémiques. Pas génial quand on voulait devenir présidente d’université.

Et une fois en place, elle pourrait en faire une tête de pont pour ses combats futurs, un phalanstère de la transgression, une ZAD LGBT, en quelque sorte…

Cet entretien la lassait, d’autant qu’elle avait des soucis domestiques : la veille, elle avait retrouvé sa femme, la mignonne Sappho, alanguie dans le canapé alors que le diner n’était pas prêt.

-«J’ai regardé trois épisodes de « 10% » en replay se défendit-elle. Cette Camille Cottin, elle est a de ces yeux ! »

L’attitude de Sappho l’inquiétait. Ce soir, Circé voulait rentrer tôt, et mettre les choses au point. Libertaire à la ville, d’accord, mais au foyer, il y avait des limites !

Elle décida de couper court :

« Commencez à creuser la biblio, on verra s’il y a matière » exhala-t-elle, l’œil mi -clos, dans le nuage de fumée de sa « caporal ».

Où diable parvenait-elle encore à se procurer des Caporal ?  Question saugrenue quand votre avenir universitaire est en jeu…

Côté biblio, ça n’avançait pas fort, et, côté étude de cas, il était en difficulté : maintenant qu’il était privé de travaux pratiques, il ne progressait plus.

Et maintenant, ce môme !

Il fulminait ! Ça faisait un moment qu’il ne l’avait pas croisée, la Madeleine, et il en subodorait la raison. Elle allait l’entendre !

Et le moutard s’était mis à brailler : un vacarme d’enfer dans la résonnance de la cage d’escalier !

Empoignant le couffin, il allait s’élancer vers les premières marches quand il découvrit un feuillet, épinglé sur la brassière du marmot.

PRENDS SOIN DE LUI. JE PARS FAIRE MON ALYA. JE VAIS REJOINDRE MELCHIOR A TEL AVIV.

La salope !!!

Quant à ce qu’il pensait de son mac, Melchior, on évitera de le reproduire ici.

Et si elle espérait développer son petit commerce là- bas, vu l’influence croissante des Hassidim, elle allait avoir devoir ramer..

Que faire du môme ? Il avait besoin de réfléchir, mais était trop perturbé pour aligner deux idées.

Ses neurones fonctionneraient mieux quand il se serait procuré de quoi se calmer.

 

Chapitre II   20 décembre 10h30   Joseph

Pour la concision de ce récit, on conviendra que Joseph, ainé de 11 enfants, n’ignorait rien de la façon dont il fallait bercer, nourrir et torcher un nouveau- né.

Cela épargnera au lecteur la description du pénible apprentissage du beau métier de géniteur, et ça m’évitera d’avoir à plagier « Trois hommes et un couffin »

Il savait même confectionner une écharpe de portage, ce qu’il fit.

D’abord les urgences.

Chez Gaspard, l’arabe du coin, il devrait trouver tout le nécessaire pour le môme.

Joseph aimait bien cette boutique obscure, où les sacs de semoule, de pois chiches et de fèves, comme les bidons d’huile d’olive, s’entassaient à même le sol, où les senteurs d’épices, d’olives et de tomates séchées le disputaient aux odeurs de lessive et de produits d’entretien, et où, en fond sonore, Oum Kalthoum n’en finissait pas de pleurer la perte de Jérusalem .

Petit, le teint ivoire, visage rond et courte barbe, Gaspard, s’il avait été là, n’aurait pu renier ses origines : les oasis du M’zab, où des générations d’endogamie avaient produit ce type physique si particulier. Pur berbère, il se foutait bien qu’on l’appelât « l’arabe » : commerçant avisé, il ne contredisait jamais un client.

Mais Gaspard n’était pas là.

En sarouel et bonnet blanc, son sosie, en moins réussi, assurait l’intérim. Affligé d’un fort strabisme qui perturbait ses interlocuteurs, ne sachant quel œil fixer, il ne semblait pas en vouloir plus que ça à son créateur.

- « Gaspard ? rigola-t-il. Comme chaque année, il est parti à Beni Isguen. C’est bientôt l’Aïd, il va le passer en famille. Et comme d’habitude, inch’Allah, ils vont en mettre un en route, le septième. Mais il a le mauvais œil, il ne fait que des filles… «

Comme prévu, le sosie put fournir biberon, tétines, lait 1° âge et paquet de couches. De derrière le comptoir il tira la cartouche de blondes et la bouteille d’Islay, 20 ans d’âge, son tourbé préféré, qui aideraient Joseph à supporter les vicissitudes de cette situation imprévue.

Depuis la boutique, Joseph vérifia si le chouf, était à sa place, à l’entrée du parking.

C’était le cas, donc le point de deal était déjà ouvert.

Il se précipita au 1° sous- sol. Il fut surpris de ne pas y trouver Balthazar, mais un gros black, aux faux airs de Forest Whitaker (magistral dans le rôle de Charlie Parker, Le « Bird » de Clint Eatswood), qui trônait sur un canapé défoncé, derrière une table de camping sur laquelle était exposée la marchandise. Joseph ne l’avait jamais vu.

A peine visible dans la pénombre, un malabar, dont la gandoura dissimulait mal une kalash, assurait la sécurité de l’opération.

Si Joseph avait été plus attentif, il aurait constaté qu’elle venait du rayon jouets du supermarché du coin. Manifestement, le remplaçant de Balthazar, inspiré par le matraquage sécuritaire de Cnews, voulait jouer dans la cour des grands, mais n’en avait pas encore les moyens.

- Où est Balthazar ?

-  C’est pas ton problème, Man. Et qu’est- ce que tu fous ici avec ton nain ? Du baby sitting ?

- C’est rien, c’est ma voisine qui me l’a confié. File moi vite 4 barrettes, elle va bientôt rentrer. (on admirera la puissance des dialogues..)

- Paye et casse- toi !

Joseph s’exécuta, mais curieux, fit une halte auprès du chouf. Le gamin, qui le connaissait, ne se fit pas prier :

-« Balthazar, il est monté au bled, dans le Rif, pour visiter ses fournisseurs… »

Joseph ayant assuré la matérielle, il pouvait maintenant regagner ses pénates, Il était pressé de s’en rouler une, mais il devrait d’abord changer le môme, qui avait dû charger sa couche, ça sentait pas l’eucalyptus..

Mais, et c’était déjà ça, il s’était endormi.

Préoccupé, il ne remarqua pas l’obèse en imperméable mastic qui se précipitait vers une vieille R12, en chuchotant dans un micro dissimilé dans sa manche. Cependant, sans cou et le crâne rasé, il ne pouvait cacher l’oreillette reliée par un fil à son col de chemise.

Tout autre que Joseph aurait repéré un flic. (Pour ceux qui souhaiteraient visualiser le personnage, pensez à Jean Claude Rémoleux, qui jouait l’inspecteur Barbic, dans « La grande lessive », de Jean Pierre Mocky, celui qui chantonnait, de sa voix de fausset, « c’est les poulets.. » quand il frappait à une porte pour perquisitionner.)

Roger Leboeuf formait avec Martin Lanne la paire d’enquêteurs des stups la plus pitoyable que l’on puisse imaginer. On leur confiait la surveillance des gangs les plus minables, encore heureux s’ils ne provoquaient pas de bavures. Mais, encartés au syndicat « Alliance », on ne pouvait rien contre eux.

Martin était aussi chétif que Roger était massif, et le portrait craché de Luis Rego, en bien moins futé.

Malgré cela, c’était la tête pensante de l’équipe.

- « Un gros poisson ! » proclama Leboeuf, en s’engouffrant dans la caisse, qui prit aussitôt un air penché. « C’est sûrement une mule, tout est planqué dans le porte bébé ! Et, tiens- toi bien, ils ont trouvé un moyen pour masquer l’odeur du shit, ça sent bizarre !»

Lanne saisit le micro qui pendait au rétro.

-«  PC, pour Zebra 3, urgent !  PC pour Zebra  3 urgent ! »

Nos Starsky et Hutch de banlieue en frétillaient d’excitation.

-« Zebra 3 pour PC, qu’est ce qu’il y a , les brêles ? »

-« On tient une piste, on a repéré une mule, qu’est- ce qu’on fait, chef ? »

-«  Et bien, suivez là, espèce d’abrutis »

Nantis de ces éclairantes instructions, Lanne et Leboeuf se mirent en chasse. En route pour la gloire !

Joseph, lui, accélérait le pas, s’il ne se hâtait pas, il allait la rater.

Car, aussi désabusé et cynique qu’il fut, il regrettait de se l’avouer, il était amoureux.

 

Chapitre III 20 décembre 12h30   Marie

Jupes plissées, cardigan bleu marine, col claudine, les collégiennes de « Notre Dame de la conception » s’alignaient sur le trottoir, sous les lettres dorées proclamant fièrement l’identité de l’institution.

Marie, la mignonne surveillante qui se dirigeait vers la tête de colonne, ne comprenait pas les rires sous cape des gamines, jusqu’à ce que, levant les yeux, elle découvre ce qu’une main espiègle avait taggé, ajoutant la syllabe TRA entre les deux premières de « CONCEPTION », transformant ainsi l’institution en annexe du Planning familial.

Horrifiée, elle pressa les collégiennes pour gagner le pensionnat, à deux pas de là.

-« Dépêchez- vous, et ne regardez pas ! »

Pas besoin de chercher le coupable, encore un coup de ces affreux gauchistes qui n’avaient pas digéré que « Notre Dame » ait été un des hauts- lieux de la résistance pendant la « manif pour tous »

Elle se souvenait avec bonheur de ces intenses journées, la préparation des cortèges, la confection des banderoles « La loi Taubira ne passera pas ! », « Mariage pour tous = PMA + GPA pour tous «, « Stop à la théorie du genre ! » et la plus belle : « une famille = un papa + une maman », qui résumait tout.

Que de riches heures passées à mobiliser les paroisses, à réserver les TGV pour les provinciaux, à composer des tracts, à implanter les postes de secours.

Elle se sentait si différente de Frigide Barjot. Heureusement que celle-ci avait été rapidement écartée.

Mais si proche de tout ce peuple militant et multiforme, les vendéens arborant le cœur chouan, les familles nombreuses, les bourgeois en loden, les St Cyriens en civil, les prêtres en soutane, les moinillons en sandales, et, de temps en temps, une tête connue, le grand Laurent, cheveux gris et parka rouge pour qu’on le repère, le petit Bruno, lunettes cerclées, pressé de convaincre, le beau François, et ses costume si bien coupés ….

Plus inquiétants, les membres du service d’ordre, bombers et rangers, nuque rasée et regard glacé. Leur rempart contre la racaille. Elle espérait que cela ne serait pas nécessaire.

Elle peinait parfois à assumer la contradiction entre le message d’amour qui justifiait sa foi profonde, et la violence à peine contenue qu’elle détectait chez certains.

Et, pénible souvenir, celui d’un illuminé, Gabriel, profitant d’une bousculade, qui lui avait susurré à l’oreille :

-« Réjouis toi, toi à qui Dieu a accordé sa faveur, le Seigneur est avec toi .. »

Paniquée, croyant à un pervers profitant de la foule, elle l’avait violemment repoussé. La suite s’était perdue dans les slogans « Hollande, t’es foutu, les cathos sont dans la rue ! «

Mais tous ces efforts avaient été vains, la loi était passée.

Elle avait alors traversé une phase de dépression, se réfugiant dans l’introspection. Que faire de son existence ? Quand aurait-elle la chance de rencontrer celui, avec qui elle pourrait, enfin, cueillir le printemps de sa vie ? (Celle- là, elle n’est pas de moi, je viens de l’entendre dans « la plus belle pour aller danser », de Sylvie Vartan, ça ne nous rajeunit pas)

En attendant de le rencontrer, elle veillait à la bonne éducation des gamines confiées à l’institution, donnait des cours de catéchisme, accompagnait les pèlerinages de malades à Lourdes et, pour se distraire, participait aux tombolas organisées au foyer paroissial. Elle venait même de rater le 1° prix, une semaine pour deux au Puy du Fou, thalasso et entrées du parc compris, mais elle ne regrettait rien, un tel séjour, seule, aurait été un désastre.

Le 2° prix, qu’elle avait gagné, n’était pas mal non plus : Trois jours en Judée. Elle partait le 23.

Elles étaient arrivées au pensionnat.

Mais que faisait ce curieux type, sur le trottoir d’en face, avec son bébé sur le ventre ?

Il la regardait d’un air de ravi de la crêche…

Chapitre IV. 24 décembre.   7h  Joseph

Il l’avait croisée il y avait tout juste huit jours, à la nuit tombée, en tête d’une procession de petites silhouettes emmitouflées dans leurs pélerines et se hâtant vers la chaleur des salles d’étude. Ses cheveux blonds, échappés du béret, captaient la lumière des réverbères dans le scintillement des premiers flocons.

Il en était resté scotché, aveuglé d’évidence. C’était elle…

Et depuis, il se surprenait à fredonner en boucle la ritournelle de Maxime Le Forestier « Vous êtes si jolies quand vous passez le soir à l’angle de ma rue ….»

Deux évènements aussi violents, cette rencontre, puis le couffin, avaient crée un bouleversement si profond dans sa vie, qu’il n’avait trouvé d’autre solution, pour tenter de la reprendre en main, que de respecter une routine : couches, biberon, travail, re couches, re biberon.

Et enfin, le moment qu’il attendait, courses à l’épicerie, puis la promenade du bébé, prétexte pour aller guetter son passage sous les murs de l’institution. Emotion si brève, mais si forte, qu’elle en justifiait ses journées.

Il était en panne dans sa thèse, bloqué au milieu du chapitre « Soumission et domination, le yin et le yang de l’économie érotique »

Il avait choisi pour l’illustrer, deux scènes : dans « La fille de d’Artagnan » celle où Charlotte Kady, vénéneuse Eglantine de Rochefort, faisait la démonstration de sa souplesse dans un corps à corps bavard avec Clovis de Crassac, incarné par un Claude Rich au sommet de son art, puis celle où Marina Vlady, la voluptueuse marquise de Parabère, de « Que la fête commence », les yeux clos, accueillait avec un soupir les faveurs de Philippe Noiret, régent jouisseur et blasé, appuyée à la rambarde du perron d’honneur de Versailles.

Ces scènes, jusque- là, l’emplissaient d’un émoi bien compréhensible et stimulaient ses facultés rédactionnelles, mais pas que…

Aujourd’hui, elles ne l’inspiraient plus : il calait, troublé par l’image virginale qui le hantait.

Et, depuis hier, elle n’était plus au rendez-vous.

Lanne et Leboeuf, bien que contraints au régime kebab que leur imposait leur filature, et peu doués d’imagination, eux, ne s’impatientaient pas.

On leur avait dit de le filer, alors ils le filaient, ce qui n’était pas bien compliqué. Ce type était réglé comme une horloge. Mais qu’est- ce qu’il foutait, chaque jour, à l’épicerie, puis pendant cette halte devant cette institution, à regarder défiler des collégiennes ? Que trafiquait il ?

Aujourd’hui cependant, un imprévu allait chambouler leur routine : Joseph venait de sortir sur le trottoir, le porte bébé sur le torse, un sac à la main, et s’engouffrait dans un Uber. Qu’est ce qui lui prenait, si tôt, un matin d’hiver ? Il s’enfuyait ? Les avait-il été repérés ?

Ils le suivirent néanmoins : périph, A1 puis Roissy.

Leboeuf gara la R12, Lanne, plus discret, colla aux basques du suspect, qui se dirigeait vers le comptoir d’ »El Al ».

Le prochain vol pour Tel Aviv était dans une heure. Joseph paya par chèque, il s’expliquerait plus tard avec sa banque, et se dirigea vers la salle d’embarquement. (Ne me demandez pas comment il a fait pour les papiers du bébé, ça nous emmènerait trop loin. C’est un conte, quand même !)

Il avait reçu dans la nuit un court message de Marie Madeleine : « VIENS VITE ET AMENE LE BEBE. RENDEZ VOUS A LA GARE DE BUS DE JERUSALEM LE 24 à 23h00 »

Il n’avait pas réfléchi longtemps, trop content de se débarrasser enfin de son fardeau et de pouvoir ensuite, de retour à Paris, partir à la recherche de sa belle disparue.

Lanne et Leboeuf se précipitèrent vers les locaux de la PAF, se firent connaitre, y déposèrent leurs armes, chargèrent leurs collègues de prévenir leur hiérarchie, et s’embarquèrent à la suite de Joseph. Ils étaient sur un très gros coup !

Chapitre V   24 décembre 23 heures.   Marie Madeleine

Dissimulée derrière un des piliers de la gare des bus, encore très fréquentée à cette heure tardive, Marie Madeleine guettait l’arrivée de Joseph. Personne ne lui prêtait attention sous son voile, parmi les juifs orthodoxes, qui avec leurs nattes et leur grand chapeau lui rappelaient « Rabbi Jacob », mêlés aux familles arabes chargées de baluchons, de cages à poules, ou trainant le mouton de l’aid.

Elle l’aperçut enfin, frayant son chemin dans la foule, lui fit signe de la rejoindre

Sans un mot, elle s’empara du bébé, et vérifia la présence du médaillon qu’il portait au cou.

Joseph aurait voulu poser mille questions, mais, hébété, il ne put que balbutier : « Mais pourquoi ? »

Sans répondre, elle lui rendit l’enfant et lui intima : « Tu prends le bus pour Bethleem, il s’appelle Jésus, tu le remettras à sa mère et tu me rendras le médaillon. C’est à 10km, sois- y à minuit, à l’hôtel « l’étable » »

Il la retint, voulant comprendre. Elle cherchait à se dégager quand elle aperçut Lanne et Leboeuf, facilement repérables dans leurs impers mastic.

- :« Lâche moi, je t’en prie, c’est très important »

Il ne relâchait pas sa pression et elle céda, dans un chuchotement :

-« DGSE, en mission spéciale ! »

Et lui interloqué :

-« Qu’est- ce que tu racontes ! »

La menace se rapprochait, elle dût se faire plus précise :

‘ »Dans le médaillon, une micro puce, avec une partie de la formule d’un traitement anti covid »

Il en était abasourdi, et ne la lâchait pas.

« Le virus, ce n’est pas la Chine, c’est Daech qui l’a libéré, depuis un stock récupéré dans les labos de Saddam Hussein. Ils sont à mes trousses. Je devais convoyer la formule, tu vas le faire pour moi »

« Et toi ? »

« Je détournerai leur attention, jusqu’à ce que tu y arrives. Je dois attendre Melchior, du Mossad, Balthazar, de la CIA et Gaspard, du MI5, ils ont chacun une partie de la formule, l’assemblage se fera dans un labo, près de Bethleem, mais ils ont été retardés, et n’arriveront que le 6 janvier. Il faudra que je tienne jusque- là »

Elle n’eut pas le temps de s’éloigner, Lanne et Leboeuf, persuadés d’avoir localisé le chef d’un réseau de trafiquants, venaient de leur mettre la main au collet en brandissant leurs cartes de police.

Marie-Madeleine comprit sa méprise, ce n’étaient pas les tueurs de Daech mais des flics français, et elle réagit immédiatement :

-« DGSE, je vous réquisitionne pour protéger cet enfant »

Eux, claquant les talons, se mirent aussitôt à sa disposition, mais elle avait déjà fondu dans l’obscurité.

Chapitre VI   24 décembre, minuit. Jésus, Marie, Joseph

Enfin, on y est…

Les néons bleus de l’hôtel « L’étable » clignotaient au bout de la rue, très kitch.

Marie, après une longue journée de visite, les pieds en feu, n’avait qu’une hâte, gagner son lit.

Elle accepta cependant une invitation du guide au bar de l’hôtel, dont le décor et l’éclairage parcimonieux visaient, en rappelant le nom de l’établissement, à créer une ambiance propice aux soirées prolongées, et plus, si affinités…

Au même moment, un individu dont la silhouette ne lui était pas inconnue, suivi de près par deux types à la curieuse allure, déposait un couffin, aussitôt encadré par les deux impairs mastic, le costaud et le chétif, puis se retournait.

Leurs regards se rencontrèrent.

Et ils se figèrent, pour l’éternité….

Les voyez -vous, Jésus, Marie, Joseph, l’âne et le bœuf, qui, dans la crèche, nous rappellent chaque année ce mystère deux fois millénaire ?

Cette année, ils nous amèneront en plus un très beau cadeau, la victoire sur le covid.

Et Circé, me direz -vous ?

Ceci est une autre histoire.

Nous vous souhaitons un très chaleureux Noël.

« Les esprits humains créent les dieux qu’ils adorent et auxquels ils obéissent »  (Edgard Morin)

10 commentaires pour “20 11 25 Conte de Noël

  1. Jean Louis le 25 novembre 2020 à 9 h 36 min a posté:

    Elles sont fortes les herbes de Provence cette année§§

  2. Angelo le 25 novembre 2020 à 10 h 44 min a posté:

    Génial !

    J’ai particulièrement apprécie le passage sur les mozabites de Ghardia qui c’est vrai sont très souvent myopes et portent des lunettes à verre épais…
    Quel sens du détail.

  3. Clémentine le 25 novembre 2020 à 14 h 06 min a posté:

    Quel talent!! Tu ne vas pas te faire que des copains dis donc…
    Sinon Jean-Louis a raison, diminue la dose

  4. michel et emma le 25 novembre 2020 à 18 h 12 min a posté:

    P…n c’est grandiose ,ton truc coco !
    je vais le vendre fissa a Netflix pour une serie Special Noel .
    Tu nous rajoutes un peu de sexe et deux ou trois cadavres et c’est dans la poche !!! on peut en tirer au moins un million de CM !! (Caramels Mous)
    et on fait fifty/fifty ….
    bises
    Mimi la Raclure

  5. un RMI c’est vite bu…je préfère le Laphroaig
    l’adjectif du début…il y a mieux :::pute revendicatrice !

  6. je l’ai voulu , je l’ai eu mon conte de Noël !! Tu t’es surpassé !
    Pendant que tu nous faisais patienter dans l’attente de ce nouveau récit , tu te documentais pour nous offrir une oeuvre d’une grande richesse !
    Il ne faut surtout pas t’arrêter en si bon chemin .
    Personnellement je préfère la qualité à la quantité et si tu as besoin de temps pour mûrir le prochain conte , on peut attendre Pâques , le retour des Cloches , du Printemps , l’arrivée des vaccins ……
    Tu es génial , et on t’embrasse bien fort ainsi que ton attachée de presse.

  7. Jacqueline michaux le 26 novembre 2020 à 9 h 20 min a posté:

    Ben dis donc ! Quelle histoire c’est beau comme un conte de Noël .
    Tu est un grand cinephile .Je me suis régalée
    Et comme le dis le message précédent j’attends …avec impatiente ,la suite des cloches,la fin ou pas du covid que sais-je , nous vivons une époque formidable tu trouveras sans problème un très bon sujet ,et je te lirai avec un grand plaisir ..A la prochaine camarade!!! Et bravo

  8. FRANCOIS GROLL le 29 novembre 2020 à 23 h 25 min a posté:

    En lice pour le Goncourt 2020, demain ? En 2019 il etait clair que « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la meme façon ‘ En 2020 il est maintenant bien clair que Jesus, Dieu fait homme, va nous reserver bien des surprises , comme tu nous le raconteras ….le plus rapidement possible sil te plaît
    Francois

  9. Nadine le 30 novembre 2020 à 9 h 10 min a posté:

    A la Jamel et « sa petite histoire de France » ou « Kaamelott » d’Astier, c’est drôle !!!)
    D’abord,humblement, je dois avouer que j’ai dû lire plusieurs fois la première page pour comprendre où et quand l’action se situait. La Régence, la Grèce antique, l’époque actuelle. Je n’ai pas trop compris pourquoi la Régence (sans doute me faudrait-il revoir « que la fête commence » de ce bon Tavernier ( non, non pas le tenancier de bar, l’Autre) ou lire la thèse de ce bon Joseph pour saisir les subtilités de ce choix, outre licence et débauches bien entendu.
    Un bon moment (mais il faut se concentrer pour les références culturelles et cultuelles ) en attendant de lire si les cloches de Pâques ont copulé avec les petits lapins.
    Joyeux Noël à vous 2 et à la famille. Nadine

  10. Anonyme le 30 novembre 2020 à 15 h 34 min a posté:

    Que de monde dans ce très amusant conte de Noël et quelle joyeuse pagaille !
    Pour tout visualiser et bien suivre les aller retours dans le temps, j’ai dû me concentrer dans un silence absolu jusqu’au dénouement heureux attendu avec impatience. Je n’ai pas été déçue.
    Quel bien fou de se perdre dans cette péripétie si originale. Bravo ! et merci à jeannette que je ne connais pas.
    J’attends la suite comme la fameuse histoire de Circé par exemple…
    Annie

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