Suze la Rousse. Jeudi 09 avril.
La situation empire à Guayaquil, si jolie ville d’Equateur où nous avions séjourné en novembre. Selon « Le Monde » on ne parvient plus à évacuer rapidement les corps des victimes, qui restent sur les trottoirs dans les barrios surpeuplés, où le confinement est une vue de l’esprit.
Si la pandémie semble proche de son apogée en Europe, ce qui nous rapproche à grands pas de jours meilleurs, le pire reste à venir en Amérique du Sud, en Afrique, au Moyen 0rient, dans le continent indien.
Ne reste qu’à prier pour eux, si ça pouvait avoir de l’effet, et rester chez soi.
Quant aux USA, pour imaginer ce qui va se produire, il suffit de se baser sur le contraire de ce que dit Trump. En matière de guignolades, difficile de lutter avec lui.
Qu’un type comme lui soit aux manettes, ça fait froid dans le dos, alors qu’on a besoin de notes d’espoir… Alors, je ferai preuve d’un incurable optimisme en affirmant qu’on a toutes les chances de guérir d’une grave infection pulmonaire, et, je vais me permettre, une fois de plus, de parler de moi….
Début août 2005 :
Demain, je suis en vacances.
Il y a quelques jours, j’ai passé deux journées dans une salle sans ouvertures, avec trois collègues japonais. Nous devons en effet annoncer la fermeture d’une usine en Europe de l’ouest et une grève dure est inéluctable, Pas question cependant d’arrêter une ligne de montage chez un constructeur, en particulier japonais, ça n’est même pas imaginable. D’où la vérification, article par article de l’état des stocks avec chacun des responsables commerciaux concernés.
Il me reste à terminer quelques dossiers, quand une douleur fulgurante me transperce le côté gauche. Impossible de continuer à bosser.
Je quitte le bureau, fonce vers une pharmacie et me gave de paracétamol avant de revenir bâcler le travail, puis rentre à la maison.
Dès le lendemain, consultation. J’explique au toubib que nous avons déplacé des meubles le weekend précédent, que j’ai dû faire un faux mouvement, mais que la douleur est calmée. Il m’ausculte, ne détecte rien d’anormal, et me manipule pour remettre en place ce qui le mérite.
Et nous partons à Suze, retrouver Claire, sœur d’Agnès et Jean. Le jour suivant, une petite ballade au Ventoux s’impose, vu le grand beau temps. Il y a foule au sommet et, je me gare un peu près d’un touriste belge.
Il râle et me le fait savoir. Je précise que c’est un flamand, pour ne pas me fâcher avec mes amis d’outre Quiévrain.
Agnès estime que je me gare toujours comme un pied. Je m’inscris en faux : il m’arrive de bien me garer. Rarement, c’est vrai, mais je ne supporte pas qu’on m’en fasse remarque. D’où ces stimulants débats d’idées qui pimentaient notre vie intellectuelle, aux beaux jours d’avant le confinement. On les regretterait presque..
A peine rentrés, un coup de poignard derrière la clavicule me cloue sur une chaise, je gémis de douleur, et transpire à grosses gouttes. Agnès appelle un médecin, pendant que Jean, douillet pour deux et hypocondriaque, donc expert médical, me répète : « Prends sur toi ! Ça va passer, prends sur toi !»
Quinze ans après, je lui en veux encore.
Le médecin prescrit calmants et antibiotiques, il a diagnostiqué une pneumopathie à gauche et s’en va, en recommandant de l’appeler dans trois jours, pour faire le point.
Je passerai les trois jours suivants allongé sur un transat, sans amélioration : fièvre de cheval, grande faiblesse, semi- léthargie, sans le courage, ni l’envie, de bouger le petit doigt. Effet des médocs ou d’une infection ?
Contacté, le médecin prescrira une radio pulmonaire. On se rend rapidement à Valréas. Je suis dans le gaz dans la salle d’attente, une fois les clichés faits, quand le radiologue arrive en coup de vent : il faut l’hospitaliser d’urgence, il n’a plus qu’un poumon…
Agnès, sur recommandation du radiologue, dégotte une place à la clinique de Nyons, qui aurait un bon service de pneumo, où je suis admis dans l’heure.
Un test rapide de mesure du taux d’oxygène dans le sang révèle immédiatement un taux critique, pas étonnant que je sois affaibli, je n’oxygène plus que sur une patte. Et je frôle les 40°..
La jeune femme médecin responsable du service m’expliquera que j’ai une pneumonie, doublée d’une pleurésie, poche de liquide entre les deux parois de la plèvre. Ils vont donc me garder, en changeant immédiatement d’antibiotiques et en augmentant les doses..
Agnès me confiera, bien plus tard, que le toubib se demandait comment j’en étais arrivé là, et me jugeait dans un état critique, le poumon droit commençant à être affecté.
De mon côté, inconscient de la gravité de l’infection, même pas particulièrement inquiet, je suis satisfait d’être pris en charge. Et les infirmières, accortes forcément, seront aux petits soins …
Je serai brutalement ramené au réel : un grand type efflanqué, le cheveu ras, entre dans la chambre et se présente, avec un fort accent allemand :
Je m’appelle Kurt, je suis votre infirmier…
Celui- là, les premières fesses qu’il a piquées, ce devaient être celles des légionnaires du 1° Régiment Etranger de Cavalerie, à Orange ! Je crains le pire, quand mon tour viendra…
A l’usage, il s’avèrera vite qu’il avait les mains douces, et expertes : dès le lendemain, est prévue une ponction. En attendant, il installe les perfs.
Manque de pot, on est en août et la salle d’op étant en réfection, ils vont devoir faire la ponction à l’aveugle. Je suis assis sur le lit, tournant le dos au médecin et à l’infirmier qui m’enfoncent un trocart entre deux côtes. J’ai évité de regarder le diamètre de l’aiguille, et je l’entends qui guide la toubib
Ils y vont en force, ça résiste, mais c’est moins douloureux qu’attendu. Et, pour échapper à l’épreuve, mes pensées vagabondent, vers cette inversion des rôles, où l’ancien dirige son jeune chef, suprématie de l’expérience sur le grade.
Cela me renvoie au film de Shoendoerffer, « la 317° section » dans lequel Bruno Cremer, adjudant ayant vécu la campagne de Russie en tant que « malgré-nous », seconde, dans la jungle de Dien Bien Phu, Jacques Perrin, incarnant un lieutenant tout juste sorti de St Cyr.
Ce parrainage, dans des organisations très hiérarchiques, est manifestement la reconnaissance de l’expérience, en dépit du plafond de verre séparant des statuts aussi discriminants. Les similitudes entre les deux mondes sont troublantes. D’ailleurs, chez les sous offs comme chez les infirmières, le grade le plus élevé n’est- il pas identique, celui de « major » ?
Et comment ne pas penser, aujourd’hui, à « Hippocrate », ce film très juste, visionné il y a quelques semaines à la télé, où un jeune interne, qui est en permanence « materné » par ses infirmières, ne saura supporter les conflits nés d’un dilemme très actuel : jusqu’à quand faut-il- réanimer ?
On s’est éloigné du trocart, Mieux vaut l’oublier, car la tentative de ponction a échoué : il n’est pas possible de la réussir « à l’ancienne », sans le matériel d’imagerie adéquat. Ça sera dans un autre établissement, mais pas avant une semaine, il faut d’abord faire tomber la fièvre, et trouver un lit disponible, on est en août !
Agnès commencera les allers retours entre Suze et Nyons, et, malgré son inquiétude fera la liaison avec l’entourage. Elle interviendra même auprès du PDG de la filiale française dont je suis salarié, délice des organisations matricielles, afin que mon patron japonais cesse de me harceler.
Il semble qu’avec moi, il soit le seul inconscient de mon état, et ne comprend pas que le personnel d’une de nos usines françaises soit maintenant en vacances, bien que le plan de production n’ait pas été accompli avant la fermeture estivale. Il veut des explications.
Je lui proposerai bien d’aller négocier avec la CGT, il comprendrait ce qu’est une barrière culturelle. Dûment chapitré, cependant, il finira par me foutre la paix.
On percevra peut- être chez moi un poil de ressentiment envers les japonais.
J’ai longtemps pensé que j’ai été contaminé lors de ce huis clos avec mes trois collègues arrivant de Chine. Le SRAS ? Nous sommes deux ans après l’épidémie, ça n’est pas exclu, le virus aurait déclenché l’infection.
Ou bien la maladie du Légionnaire due à la clim ? (Rien à voir avec Kurt, si vous voulez en savoir plus, consultez Wikipedia, je ne vais pas tout vous mâcher).
On ne connaitra pas la cause de l’infection, le traitement massif par les antibiotiques rendant les analyses vaines.
Et la fièvre, ne disparaitra que très lentement. Tous les matins, je suis tellement trempé qu’il faut changer draps, oreillers et cette coquine camisole d’hôpital, de celles qui s’enfilent par devant, sans boutons, et vous obligent, dans les couloirs, à marcher en crabe en rasant les murs, sous peine d’exposer votre postérieur à la curiosité ambiante.
Mais, pour l’instant, pas question de trainer dans les couloirs, j’en suis incapable. Et j’ai perdu 4 kg.
Valenciennes ne peut me recevoir, Douai et Liile idem, les hôpitaux sont en régime de congés. L’ami Lionel, prof de médecine, devra user de son influence pour dégotter une place à Lens. Pourquoi pas ? Vu le passé minier, avec la silicose, Lens, les poumons, ils connaissent.
Et après avoir dûment remercié Kurt, le médecin et tout le personnel, qui a effectivement été, pendant cette semaine, aux petits soins, je me vois embarqué sur une civière, accompagné en ambulance par un infirmier d’Europe Assistance. Très pro, il ne se contentera pas de vérifier sur dossier mes paramètres cliniques, il s’assurera que tension, rythme cardiaque, taux d’oxygène sont corrects avant de me prendre en charge, puis les vérifiera toutes les heures.
Voyage pas désagréable finalement, j’ai de la lecture, et la conversation de l’infirmier, qui assure des missions d’assistance pour changer de la routine, est intéressante. Au bout de la route, l’hôpital de Lens, ce n’est pas la clinique de Nyons, c’est une vraie ville..
La patronne du service m’accueille en personne, Lionel est vraiment très respecté. Elle m’explique ce qui va m’arriver ; ponction, antibios.
Et là je vais faire plus court : branché sur une pompe qui aspire le liquide pleural et injecte une solution ad hoc, je n’ai plus qu’à attendre la résorption
Mon compagnon de chambrée est un malheureux sous assistance respiratoire, dont la machine fait un boucan d’enfer, et qui regarde en permanence à la télé des niaiseries, son au maxi. C’est vite insupportable.
Ma demande de chambre individuelle surprend, ici on n’est pas en clinique, mais dès le deuxième jour, on me fait une fleur et on déménage le lit de mon voisin, et lui avec….
Je l’entends réclamer, sous son masque, « Ma télé, ma télé ! » Je me sens coupable, je n’avais pas imaginé ce scénario. Je m’en inquiète et il récupèrera vite sa télé.
Les jours s’écouleront lentement, rythmés par les bons moments, les visites d’Agnès, le petit déjeuner, délicieuse régression avec chocolat et tartines de confiture et les moins bons : soirées interminables et longues nuits sans sommeil.
Et, curiosité des hôpitaux du nord, en guise de goûter, un potage de légumes. On s’y fait et, au bout de quelques jours, on l’attend…
Tout le personnel sera formidable de gentillesse et d’efficacité, du médecin à l’aide-soignante, de l’infirmière à la jeune femme qui vient, tous les jours, désinfecter l’ensemble du mobilier. Une exception : les brancardiers, qui déplacent les malades, sur leur lit, d’un service à l’autre.
On me dira : il ne faut pas stigmatiser, ils ont des excuses, c’est un boulot physique, ils sont mal payés et surchargés… Peut-être, mais moi je n’ai vu que des râleurs, se plaignant d’être surmenés au cours de longues conversations de couloir.
Il faut dire qu’il y en a un qui m’a laissé devant la porte du service de radiologie, dans un sous sol froid, sans explication, avec juste une légère couverture. Pause repas ? J’y resterai plus d’une heure, gelé, source sans doute de mon ressentiment.
D’un autre côté, être de mauvaise humeur, c’est bon signe !
Et ça s’améliorera doucement: deux semaines plus tard on me laissera sortir avec seulement une légère diminution de ma capacité respiratoire, un mois d’arrêt et des séances de kiné. Pour ça, je suis en de bonnes mains.
La prochaine fois, j’arrête de parler de moi, mais, pour terminer, en témoignage de reconnaissance pour les soignants, d’hier et d’aujourd’hui, et même pour les brancardiers, ces quelques vers de Barbara :
Dans le couloir,
Il y a des anges
En sandales
Et en blouses blanches
Qui portent, accroché
Sur leur cœur,
La douceur de leur prénom.
Pour ceux qui aiment la longue dame brune, je peux fournir les paroles complètes de la chanson « Le couloir »
A bientôt, et restez au chaud..
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