Lundi 3 décembre. Jour 84 Puno / Sicuani
Nous reprenons nos traces vers le nord-ouest sur ce trajet déjà effectué il y a 3 semaines. 3° traversée de Juliaca, toujours la galère. On aura tout essayé ; la « circonvolucion », défoncée, le centre-ville en travaux, bouché, et, pour cette fois les parallèles à l’axe principal. Mauvaise pioche, on tombe sur un marché. Pour en sortir, au culot, pas d’autre moyen que de prendre une rue à contre sens ; heureusement elle est courte, et ça n’émeut personne.
Halte à Sicuani, où nous avions beaucoup aimé l’hôtel Wilkamayu lors de notre 1° passage, même si le parking, commun avec un brasseur, est bruyant : on y charge des caisses de bière jusqu’à 11h du soir, mais il nous en faut plus pour nous empêcher de dormir.
S 14, 26109° W 71,22707°
Km 198 Total 12500
Mardi 4 décembre. Jour 85 Sicuani / Cuzco
Route toujours hachée par les travaux sur chaque pont, mais le trajet est bref. On en profitera pour faire une halte dans un « lavadero », dont l’installation est en accès libre, pour débarrasser le véhicule de deux mois de boue et de poussière, afin de la rendre un peu plus présentable pour l’hivernage.
Arrivée sur les hauts de Cuzco en début d’après midi, avec une très belle vue sur la ville, qui s’étend dans la plaine quelques centaines de mètres plus bas, et a conquis les collines alentour.
Au camping « Quinta La La », nous aurons la surprise de retrouver un véhicule familier : l’Iveco de Sylvia et Per, compagnons de traversée l’année dernière sur le « Grande America », qui achèvent ici leur dernier grand voyage. Fatigués, ils se limiteront dorénavant à l’Europe. Nous y rencontrerons également Bruno, qui voyage sur son MAN 13 tonnes, et qui nous donnera des nouvelles d’autres voyageurs, membres du CCRSM.
On se met d’accord avec Milli au sujet de la demande de suspension de l’autorisation temporaire d’importation : en1° étape nous irons à la police jeudi matin, pour solliciter sa visite afin d’obtenir la délivrance du certificat attestant la présence du véhicule au camping, avant de déposer le dossier à la direction des Douanes. Par ailleurs, nous avons décidé de le (et de nous..) laisser au repos jusqu’à notre départ vers la France, les excursions pendant ces dix prochains jours se feront en taxi, bus, train, ou tout autre moyen disponible.
Et comme le camping est situé à deux pas du site inca de Saqsayhuaman, en guise d’apéritif, nous attaquons sa visite, grâce au pass qui permettra de visiter une douzaine d’autres sites sur Cusco et ses environs.
Conçu par le 9° Inca Pachacutec, qui remodela le plan de la ville sous la forme d’un puma, et comprenant une forteresse pouvant héberger 5000 guerriers, un temple et un espace cérémoniel, Saqsayhuaman occupait 3000 ha sur une colline dominant Cuzco. Son sommet fut arasé pour dégager, entre la forteresse et la colline de Rodadero dominée par le « Trône de l’Inca », la vaste esplanade où se tenaient revues et cérémonies destinées à mobiliser le peuple et impressionner les visiteurs.
La forteresse était ceinturée d’un triple rang de remparts en dents de scie, représentant les dents du puma, mais aussi visant à obliger les assaillants à se présenter de flanc.
Ils étaient constitués d’énormes blocs polis, assemblés sans mortier et parfaitement ajustés, avec une découpe brisée propre à éviter leur glissement latéral lors de tremblements de terre. On retrouvera cet assemblage sur les fondations de plusieurs immeubles de la vieille ville, caractéristique de la construction inca, de même que les ouvertures en forme de trapèze.
Et, pour donner une idée de la taille des blocs, car nous avons des lectrices aimant la précision, vous aurez droit à une photo avec personnages (comme pour les cartes postales anciennes, c’est plus cher, mais on ne facturera rien…)
Km 217 Total 12717
Mercredi 5 au vendredi 14 décembre. Jours 86 à 95. Cuzco et les incas.
Séquence « Alain Decaux raconte » :
100 ans! Il aura fallu moins de 100 ans aux incas, de 1438 à 1532, pour bâtir un empire s’étendant, de part et d’autre des cordillères andines, de la région de Santiago du Chili au sud, à celle de Quito au nord, sur plus de 5000 km,.
Il ne faudra que 3 ans pour le voir disparaitre.
Née sur les bords du lac Titicaca au XII° siècle, la culture inca se développa lentement jusqu’à ce la cité de Cuzco fondée par le 1° Inca Manco Capac dans une cuvette à 3500m d’altitude, fut attaquée par les envahisseurs chankas venus du nord. Le 9° Inca, Yupanqui, qui la défendit victorieusement prit alors le nom de Pachacutec « le transformateur de la terre » et , fort de ce succès, entraina son peuple dans 25 années de conquêtes.
Considéré comme le grand homme du Pérou, pays dont la population comporte, comme celle de l’Equateur 40% d’indiens, il est honoré par un mémorial, surplombé d’une statue qui domine la ville moderne.
Il entreprit la protection de sa capitale par un ensemble de forts, et développa une stratégie de conquête et de colonisation basée, à l’instar de celle des romains, sur des principes simples : soumission des populations par la « persuasion » et, en cas d’échec, recours aux armes ; assimilation par l’apport de croyances nouvelles, sans toutefois les imposer ; construction d’un réseau de routes et de sentiers irriguant l’empire, jalonnés de fortins tous les 20km et de villes de garnisons pour disposer de « forces d’intervention » aptes à réprimer rapidement tout soulèvement et assurer le contrôle des provinces les plus éloignées,
Cette stratégie, adoptée également par ses descendants, jointe à l’ouverture d’esprit des incas, prompts à assimiler les connaissances des peuples soumis ( Huaris, Chimu, Sican, Chancay, Chachapoyas, Aymaras..) qui leur apporta la maitrise de domaines aussi variés que l’urbanisme, l’architecture, la maçonnerie, l’astronomie, l’agronomie, la métallurgie des métaux précieux et du cuivre, leur permit de coloniser les régions andines de ce que sont aujourd’hui l’Equateur, le Pérou, la Bolivie, le Chili et l’Argentine.
Ils y implantèrent une forme de société basée sur un système de castes, sur le respect absolu de l’autorité détenue par l’Inca, incarnation de Dieu sur terre, et sur la discipline, imposant le travail forcé et permettant le contrôle de la production agricole et des stocks de vivres. Un embryon de politique sociale était pratiqué avec la répartition des surplus aux nécessiteux, mais le tout tenait au prix de la répression féroce des nombreuses révoltes qui émaillèrent la période, le joug inca étant mal toléré par les peuples asservis.
Mais, peuple de montagnes, jamais ils n’eurent accès à ce qui fit la force des civilisations qui, à la même époque, développaient aussi leurs empires : Ming en Chine, Ottomans sur le pourtour méditerranéen, villes hanséatiques, ibériques ou italiennes où se développaient les technologies qui leur permettraient la traversée des océans et la conquête de continents : les Incas ne connaissaient pas la roue, encore moins la navigation, leurs bêtes de somme, les lamas, étaient limitées à des charges de 25kg, jamais il ne maitrisèrent la métallurgie du fer et ignoraient tout de la pyrotechnie et donc des armes à feu. La communication au sein de l’empire, bien que rapide grâce au réseau routier et un système de coursiers susceptible de transmettre une information sur 250km en une journée, était, elle, handicapée par l’absence d’écriture, et l’économie par celle de la monnaie.
Ces faiblesses, criantes, portaient en germe la défaite de la civilisation Inca face à des envahisseurs déterminés, brutaux, maitrisant les techniques de combat dont ils étaient démunis, mais elles ne suffisent pas à expliquer l’effondrement brutal de l’Empire, qui sera vaincu par une poignée de soudards.
Francisco Pizzaro, analphabète mais ci devant marquis de los Atabillos, débarqua aux Amériques à 27 ans, en 1502 (10 ans seulement après Christophe Colomb, il devait être pressé de faire fortune..). Il y guerroya dans des expéditions qui, parties de Panama, atteignirent les côtes péruviennes, jusqu’en 1528, année où il retourna en Espagne pour quémander le soutien de Charles Quint.
Celui-ci lui accorda d’importants privilèges et lui permit d’organiser une 3° expédition : à bord de trois caravelles, accompagné de ses frères, à la tête de 170 hommes et 37 chevaux, il débarque sur les côtes péruviennes en 1532.
Il est accompagné d’un allié redoutable et dont il n’a pas conscience : le virus de la variole, qui véhiculé par les peuplades rencontrées lors de leur progression et précédant les conquistadores, anéantira rapidement des dizaines de milliers de vies indigènes.
Et, pour son malheur, l’empire inca est déchiré : à la mort de l’Inca Huayna Capac, en 1525, ses fils Huascar, basé à Cuzco et soutenu par le peuple, et Atahualpa, qui dirige l’armée du nord, aguerrie par ses campagnes équatoriennes, se disputent le pouvoir. La guerre civile réduit de nombreuses villes à l’état de ruines, voit la victoire d’Atahualpa en avril 1532, et laisse le pouvoir exsangue.
A l’arrivée sur place des espagnols, en septembre 1532, Pizzaro sollicite une entrevue, sans armes. Atahulpa, qui prend les eaux dans la ville thermale de Cajamarca, sur les hauts plateaux du nord, l’accueille avec bienveillance, jusqu’à ce qu’une attaque surprise ne permette aux espagnols de le faire prisonnier, et de « liquider », avec l’aide d’indiens ralliés trop heureux de se libérer du pouvoir impérial, des milliers de guerriers incas seulement équipés de gourdins, de frondes et de casques en vannerie, voire désarmés.
Quel fut le poids de la croyance en le dieu Viracocha, dieu universel qui fut initialement le dieu principal de la cosmogonie inca puis supplanté par Inti, le dieu Soleil, et dont les représentations indiquent une haute stature, un visage barbu à la peau claire et qui, selon la légende, devait revenir sur terre, dans la victoire espagnole ? Sans doute bien moindre que le cynisme (les cyniques diraient ; le pragmatisme) de Pizzaro, qui, non content de se saisir d’Atahualpa sur une trahison, lui fit croire à sa libération contre rançon, 6 tonnes d’or quand même, mais le garda prisonnier malgré le paiement, et lui fit subir le supplice du garrot au bout de huit mois, après avoir mis sur le trône un fantoche, Manco Inca, demi-frère de Huascar, investi Cuzco, le 15 novembre 1533 et installé une garnison à Saqsaywaman pour contrôler la ville.
La dernière tentative de résistance inca eu lieu 3 ans plus tard, quand Manco Inca, décidé à reconquérir l’empire et soutenu par le peuple exaspéré par les exactions espagnoles, assiégea Cuzco à la tête d’une armée de plus de 100 000 hommes, et réussit à investir la forteresse de Saqsaywaman . Les conquistadores frôlèrent la déroute : une percée désespérée par un des frères Pizzaro, Juan, à la tête de 50 cavaliers et au cours de laquelle il périt, retourna la situation. Il faut dire que l’intervention de la Vierge fut déterminante.. (si, si, de nombreuses peintures religieuses en témoignent !) Manco Inca se retira alors à 60km, à Ollantaytambo, puis dans la jungle à Vilcabamba, où il fut assassiné en 1544 par des soldats espagnols.
Les espagnols, une fois la ville pillée et les temples incas détruits pour effacer toute trace de cette culture païenne et récupérer les blocs de pierre en vue de construire la ville coloniale, se tournèrent vers Lima, fondée par Pizzaro en 1535, bien plus propice au commerce.
Il y sera assassiné en 1541, lors de guerres entre conquistadores, pendant que Cuzco devenait une ville provinciale, quasi déserte : la population de l’empire inca, de 10 millions de personne avant la conquête, ne dépassait pas 600 000 survivants.
Nous ne détaillerons pas par le menu ces journées qui seront consacrées à la visite de la ville coloniale et de vestiges incas, aux excursions vers la Vallée Sacrée, mais aussi aux formalités administratives pour le véhicule, à sa préparation pour l’hivernage et à quelques périodes de repos, nous sommes en effet encore un peu courts en souffle !
Juste quelques repères :
- Nous admirerons la vaste place d’armes, bordée de maisons coloniales aux arcades ombragées avec, sur un des côtés, la cathédrale, flanquée des églises « del Triunfo » et « Jesus Maria », et sur le pan mitoyen, l’église jésuite. Leur proximité, ou leur antagonisme? fait sens.
Au centre de la place, l’Inca Atahulpa, martyr des espagnols à 31 ans, continue à montrer la voie…
- De Qorichanka, qui fut le temple le plus riche de tout l’empire inca et sur les ruines duquel furent bâtis le couvent et l’église San Domingo, ne subsistent que le soubassement du mur d’enceinte et, enchâssés dans le cloitre, des vestiges de maçonnerie.
Panthéon des rois Incas, aux murs extérieurs dont le faîte était recouvert de 700 feuilles de 2kg d’or chacune, le temple abritait des salles consacrées à la lune et aux étoiles, aux murs tapissés de feuille d’or et d’argent, et un bassin octogonal couvert de 55kg d’or. Le tout fut bien vite pillé et fondu lors de la destruction du temple. Ses vestiges ont néanmoins été bellement rénovés et mis en valeur au sein même du couvent dominicain, ce qui est un exploit, et un intéressant musée y présente la culture et la cosmogonie inca.
-Intéressantes aussi les salles consacrées à l’« Ecole de Cuzco ». Ces artistes, influencés par les œuvres de la Renaissance, notamment celles de peintres flamands et vénitiens qu’avaient importées les jésuites, se consacrèrent bien sûr à des thèmes religieux, mais en y intégrant des apports culturels locaux. Ainsi les Vierges sont-elles toujours représentées avec des robes dont la coupe en triangle et l’ourlet dessinant une rivière symbolisent la Pachamama, la Terre-mère.
Il faudra nous croire sur parole, les prises de vue dans les églises et les musées étant interdites, mais nous aurons la surprise d’y remarquer une crucifixion où la Vierge et St Marc, de part et d’autre du Christ en croix, ont la joue gonflée par une chique de coca …
Nous nous arrêterons également devant une statue de la Vierge, enceinte jusqu’aux yeux. Je ne crois pas que nous n’en ayons jamais vu ailleurs ! Et dans le même registre, à la cathédrale, le plat autour duquel sont rassemblés le Christ et les apôtres pour une Cène de facture très classique, ce plat donc, contient un cuy grillé. Pour ceux qui l’ignorent, le cuy est tout simplement un cochon d’inde, animal dont l’élevage fait encore la prospérité des paysans de la vallée de Sicuani et qui, grillé, constitue un met très recherché (j’ai testé, c’est proche du lapin, Agnès, quant à elle, a refusé l’expérience..)
-L’église St Blas, avec son autel baroque ruisselant de dorures et une chaire extraordinaire, la plus belle du continent, mérite la visite ; cette œuvre d’une vie aurait été sculptée dans un seul tronc par un autochtone ayant été guéri d’une maladie mortelle …
Mais Cuzco, ce ne sont pas que des vestiges et des églises, c’est aussi une ville qui vit, que l’on gagne en dévalant les ruelles où subsistent des cactus sur les murs en adobe (c’est mieux que des tessons de bouteille), où les métiers à tisser, même les plus simples, sont en production, où les jus de fruits sont toujours frais, où les enfants, comme dans tous les pays d’Amérique du Sud, vont à l’école en uniforme british, où les motards de la police, en tenue US, pour peu qu’on leur demande gentiment de prendre la pose, savent aussi sourire, et où les forces de sécurité marquent le pas à la mode allemande.
Et, pour les membres de la Protection Civile, le pas de l’oie avec une brouette, bonjour !


















































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