Mardi 21 et mercredi 22 janvier.
De notre chambre, au 5° étage, j’aperçois les navires à quai, malgré le brouillard. Visibles par-dessus les toits, grâce aux phares qui les éclairent d’une lueur glacée, leurs superstructures dominent les immeubles qui nous séparent du port. On devine, en cette fin de journée, une activité qui ne s’éteindra pas avec la nuit.
Lorsque Enrique La Rota, le patron de l’agence « Enlace Caribe » nous avait proposé un transport vers Bremerhaven, même si nous imaginions le contraste à venir entre Cartagena de los Indias, perle de la Caraïbe, et ce port hanséatique, nous ne nous attendions pas à ce que nous avons découvert lors d’une brève promenade, emmitouflés dans nos parkas : quelques jolis immeubles de style flamand épargnés par les bombardements de 1943-1944, noyés entre des bâtiments édifiés à la va vite dans le style lugubre de l’après- guerre, et de tristes magasins bas de gamme . Des kebabs tous les 50 mètres et même un ciné porno; ça existe encore !
Le brouillard, d’où émerge de loin en loin la lueur orangée des lampadaires, vient amortir tous les sons, troubler les silhouettes et créer une atmosphère à la Simenon, peu propice à la flânerie. Ne manquent que les mugissements des cornes de brume…
Nous rentrerons bien vite nous mettre au chaud, après avoir toutefois pu trouver, faute de « gaststatte » quelques sushis qui nous permettront d’échapper à la tristesse des kebabs.
Par paresse, j’avais recherché une chambre sur un site bien connu, qui n’a pas besoin que je lui fasse de la pub, et privilégié, à tort, l’économie. Il ne s’agira donc pas d’un hôtel 5 étoiles mais d’un appartement avec vue sur le port, fort heureusement récemment rénové, dans une HLM quasiment vide, aux couloirs glacés.
Fraiche ambiance donc, qui ne vient pas calmer notre légère inquiétude pour la récupération du camping car.
Nous avons en effet été informés, par Birgitt, l’employée de l’agence chargée de gérer les formalités de sortie du port, qu’il nous manquait un certificat d’exportation qui aurait dû nous être remis lors de notre départ, il y a deux ans. Faute de ce foutu papier, nous risquons d’être taxés de 30% de la valeur du véhicule, ce qui n’a aucun sens, car il est immatriculé en France . La TVA a évidemment été acquittée lors de l’achat !
Contactés, Grimaldi, la compagnie maritime que nous avions utilisée lors de notre traversée vers l’Uruguay, aussi bien que l’agence Seabridge, nous ont confirmé ne jamais remplir de formalités douanières lorsque des passagers embarquent avec leur véhicule, et être dans l’impossibilité de nous fournir autre chose qu’un bill of lading,, « connaissement » attestant du chargement mais sans valeur pour les douanes.
Nous ne parviendrons pas à clarifier si cette situation résulte de la négligence des sociétés opérant à Anvers, comme le pense Birgitt avec un poil de racisme anti belges, ou si les procédures sont plus lourdes lorsque le véhicule est expédié au lieu d’être accompagné, auquel cas nous aurions dû anticiper cette contrainte lors de notre première traversée.
Quoiqu’ il en soit, la seule solution suggérée par Birgitt, sera, une fois récupéré le véhicule, de tenter une sortie du port, la bouche en cœur, comme si nous étions venus gentiment visiter les installations portuaires, en ayant pris soin de supprimer au préalable tous les éléments qui révèleraient que le véhicule est fraichement débarqué d’un navire.
Cela ne nous enchante guère, mais nous n’avons pas de plan B..
Et nous voilà donc le lendemain, à la première heure, toujours dans le brouillard, en route vers les bureaux de l’agent situés en lisière de cet immense port. Longue errance à deux pas des navires, entre les parkings, les voies ferrées, les bureaux des transitaires, souvent arrêtés à des passages à niveau où défilent lentement les convois.
Terminal conteneurs, bien sûr, comme tous les ports modernes, Bremerhaven est avant tout un des premiers ports au monde pour le trafic des navires Roro, et le 1° en Allemagne : Il accueille 1200 bateaux de ce type par an, traite 1,6 millions de véhicules et peut en stocker 90 000 sur 240 ha de parkings. On imagine la noria des jockeys qui, jour et nuit, pilotent les véhicules depuis les trains ou les parcs jusque dans les hangars des navires.
Il faut bien exporter les BMW, Mercédès et autres VW qui font la gloire de l’industrie allemande et la prospérité du pays !
Pas étonnant que l’on s’y perde. Plus surprenant, nous avons franchi le contrôle d’entrée sans le voir, les douaniers devaient être planqués au chaud dans leur guitoune, et nous sommes dans l’impossibilité d’atteindre notre destination, bloqués par des clôtures ignorées des GPS.
Je me résous à appeler Birgitt, qui nous propose de nous rejoindre, nous guide vers le parc où est stocké notre véhicule, accomplit les formalités de livraison, nous confirme que nous sommes bien dans une zone sous douane et que nous devrons donc la quitter avec deux véhicules !
Elle nous abandonne ensuite, non sans nous avoir prodigué ses derniers conseils : que Madame passe devant avec la Renault et surtout ne s’arrête pas si Monsieur est bloqué avec le camping car…
Voilà qui nous met en confiance.
Halte dans un parking pour y préparer le Ford : il s’agit de décoller les scellés posés sur les ouvertures par la brigade anti narcos, dont l’adhésif est conçu pour laisser des traces lors de l’arrachement. Nous avons prévu le coup, amené le solvant qui va bien, mais il faut frotter..
Il nous faut aussi remonter le coffre extérieur, démonter les blindages de fenêtres, et faire comme si.., en remplissant le frigo, et le sac à linge sale ( ! )
Une bonne heure de boulot, et nous voilà prêts pour tenter une sortie.
Agnès s’engage vers le poste de contrôle, je laisse passer quelques véhicules et la suit. Elle efface la guitoune sans s’arrêter, devant un douanier indifférent.
A mon tour, je marque un léger arrêt, très léger, jette un coup d’œil vers le douanier, qui manifestement s’en tape, passe la première, et file..
Nous sommes enfin dehors, soulagés, mais curieusement un peu frustrés : tout ça pour ça ! La rigueur allemande n’est plus ce qu’elle était….
Il ne nous reste plus que 1500km à faire, à travers l’Allemagne, les Pays bas, la Belgique, puis la France, pour rentrer à la maison.
Quand repartirons-nous ? Et vers quelle destination ? Trop tôt pour le dire, mais nous espérons que vous serez encore avec nous pour partager paysages, découvertes, émotions et rencontres.
Hasta Luego
Patrice & Agnès

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