Suze la Rousse. Vendredi 03 avril.
J’avais dit : deux chroniques par semaine, mais je n’ai pas tenu le rythme. Aussi j’ai eu des reproches, il va donc falloir que je me rattrape.
« I banbini son l’allegria da ca. » comme disait ma grand-mère. Les enfants amènent la joie dans la maison. Où l’on verra que ça n’est pas toujours vrai….
Et d’abord, des nouvelles du front. Agnès s’est remise au turbin : après avoir accosté un gradé de la gendarmerie sur un barrage (drôle d’endroit pour une rencontre !) elle a proposé ses services, avec succès : elle a équipé toute la brigade de Suze.
Il a fallu se mettre d’accord sur le modèle. Elle leur a proposé un coton bleu légèrement passé, très tendance, et très adapté, car les bébés pandas sur fond rose, pour des pandores, ça ne l’aurait pas fait.
Et une coupe ajustée, seyante mais fonctionnelle, avec des poches plaquées pour ranger le sifflet. Non, là je galège, elle l’a joué efficace, il fallait aller vite et elle n’a pas eu le temps de broder les galons, ni la petite grenade à 7 flammes, en fil d’argent, c’est la territoriale.
Ils ont fait avec…
Et ensuite, elle a fourni le service déchets de la Communauté de communes, car les éboueurs étaient démunis. Eux, ils n’ont pas eu le choix du coloris. Elle doit en être aujourd’hui à une centaine de pièces.
Rien que pour ça, il est temps que ça s’arrête ou je vais me joindre à, la meute : « Où sont les masques ? Que fait le gouvernement ? Vite, une commission d’enquête ! Vite, la Cour de Justice » Au parlement, ça gesticule comme chez Guignol. Moins ils sont nombreux dans l’hémicycle, plus ils gigotent. On a les revanches qu’on peut…
Revenons au sujet.
7 juillet 2005.
Eulalie est à Londres, pour un séjour linguistique. A bientôt 19 ans, il y a longtemps qu’elle ne part plus en vacances avec nous, mais on a quand même tenu à ce qu’elle ait des vacances « utiles », obsession familiale, sans doute. Petites, nos filles ne partaient pas sans cahiers de devoirs de vacances dans leur valise.
Dans la matinée, nous sommes informés qu’une série d’attentats a ensanglanté Londres. Des bombes ont explosé au même moment dans trois rames de métro, puis une heure plus tard dans un bus, causant la mort de 55 personnes et blessant des centaines de voyageurs.
Longs moments d’angoisse, jusque à ce que nous parvenions, enfin, à joindre Eulalie, dans les locaux de l’université où ont lieu les cours.
Elle y restera confinée (déjà !) toute la journée. Le soir, elles rentreront à pieds, une heure 30 de marche quand même, tout le réseau est à l’arrêt. Le lendemain, certaines de ses camarades refuseront ce moyen de transport. Une autre, voyant un sikh en turban dans le wagon, et le prenant sans doute pour un islamiste, connaitra une crise d’angoisse et devra quitter la rame en vitesse. Pour l’anecdote, elle a fait du chemin depuis en politique, elle est devenue la suppléante de Christian Estrosi. Il faut espérer que son jugement s’est affiné entre temps…
En Angleterre, le climat s’est alourdi, mais les cours sont maintenus. A son retour, nous irons l’attendre à Lille Europe, et en avance, d’impatience sans doute, on s’installera dans une brasserie. L’Eurostar, parti de St Pancrace, est en approche quand une escouade de flics vient s’engouffrer dans la gare, et nous fait évacuer les lieux : alerte à la bombe !
Malgré l’alerte, le train ne sera pas stoppé, et s’arrêtera le long de quais vides. Eulalie, que l’on tient informée par téléphone, nous dira, dans un murmure : si on ne se revoit pas, je vous aime..
A l’angoisse, elle aura rajouté l’émotion.
Avril 2009.
Eulalie est à Mexico pour 6 mois, dans une association de commerce équitable. Elle a fait une année de césure pendant ses études, qu’elle a décidé de scinder en trois périodes. Après 5 mois de stage en Equateur, puis Mexico, elle terminera par un job d’été à Londres.
On l’appelle, car ici, les médias annoncent les prémisses d’une épidémie de « grippe porcine » : le virus H1N1 vient de provoquer les premiers décès au Mexique…Elle comprend alors pourquoi beaucoup de monde, tout soudain, s’est mis à porter un masque, elle n’en savait rien.
Et quand le 1° ministre, commentant cette épidémie, est informé d’un tremblement de terre, oubliant qu’il est en direct, il s’exclamera : putain ! il ne nous manquait plus que ça..
Elle décide très vite de quitter Mexico, pour se réfugier à Queretaro, 200km au nord. Elle y a des amis, y ayant passé un semestre d’études universitaires. Etudes, façon de parler, car, si elle a clairement travaillé son espagnol, pour le reste, il semblerait que ce soient surtout les programmes touristiques et festifs qui aient été approfondis. Mais bon, dans les écoles de commerce, on insiste sur la capacité à se constituer un réseau. Sur ce plan, ça a l’air réussi…
Elle y retrouve donc ses potes, et une bande d’étudiants de tous pays. Et quand les universités qui les ont envoyés annonceront leur rapatriement, ils décideront de rester, par solidarité. On n’abandonne pas les camarades face à l’ennemi, même invisible. No pasaran !
Pendant ce temps- là, à l’arrière, nous, on se ronge, on envoie des masques, du Tamiflu qu’on s’est procuré, chut, en douce. Mais le colis n’arrivera jamais à sa destinataire…Il aura profité à quelqu’un d’autre.
L’épidémie s’éteindra au Mexique, après avoir affecté 5500 personnes, ne tuant que (!) 89 personnes, selon les chiffres officiels de l’époque. On signerait aujourd’hui pour ça !
Pas étonnant que Roselyne Bachelot se soit fait piéger avec ses millions de doses de vaccin et son milliard de masques. On l’a crucifiée, mais plus d’un, aujourd’hui, se réjouit de bénéficier des résidus du stock, même périmés.
Quelques semaines plus tard, Eulalie est à Londres. Elle loge dans un coin prolo, en coloc avec une équipe de chinois et une néo-zélandaise, chez un « marchand de sommeil » qui se fait payer cash à la semaine, elle a toujours eu un petit côté Arlette Laguiller.
Mais le virus l’a précédée, l’épidémie se répand dans Londres et gagne le quartier indo-pakistanais. Elle ressentira vite les premiers symptômes, mais ça n’affole personne, ses colocs ont été contaminés avant elle, n’ont rien dit, et se portent bien. Et elle pourra bénéficier des grandeurs du NHS, le système de santé britannique, ruiné par la mère Thatcher et ses descendants conservateurs : impossible de consulter un médecin, il faut aller sur internet s’auto diagnostiquer, et obtenir une prescription standard…
Elle s’en remettra vite, mais au vu de tout ce qui précède, elle mériterait le surnom de « La Scoumoune »
Elle est actuellement confinée à La Ciotat avec Thomas. N’allez pas par-là, on ne sait jamais…
Quant à Clémentine, Paul et elle ont décidé, rapidement, de se marier. Rapidement n’est peut-être pas le bon mot, puisqu’ils vivent ensemble depuis 10 ans et ont deux filles, mais comme nous avons vécu la même chose pendant 18 ans, ça nous parait rapide. Date de la fête : le samedi de Pentecôte.
Vu la brièveté de l’anticipation, ils n’ont pas trouvé de salle de réception disponible alors, dans ma grande inconscience, j’ai proposé notre hangar au motif que j’avais prévu d’y faire couler une dalle de béton. (Le béton ! Jacqueline, ça vient…). Ça a surpris, il faut croire que je n’en avais parlé à personne.
Sauf qu’un hangar agricole, même avec un sol tout neuf, ça n’est pas une salle de mariage : il a fallu le vider, et d’une, avec une douzaine de voyages à la déchetterie, remorque pleine. C’est fou ce qu’on entasse en 15 ans. Il y avait même deux ou trois cartons jamais ouverts depuis notre déménagement.
Il faudra le nettoyer, le peindre (ça, c’était pas prévu..), amener l’électricité, l’éclairage, rénover la distribution : il ne s’agit pas que tout saute quand le D.J. mettra le paquet !
Et pour commencer, faire la dalle. Le terrassier a tout remis de niveau, le maçon terminé son ferraillage.
Et la centrale à béton a fermé ses portes, pour cause de confinement.
Depuis, on attend. Clem et Paul ont dû annuler le mariage. Ça a été un moment difficile, mais c’était la seule décision raisonnable, ça leur a au moins permis de cesser de vivre dans l’incertitude et de se projeter dans l’avenir. C’est repoussé d’un an, comme les jeux olympiques…
Ça aura au moins l’avantage de nous permettre de fignoler l’aménagement du jardin, qu’on avait un peu négligé pendant nos tribulations andines, ces jeunes gens ayant des idées très précises pour l’agencement de la cérémonie.
Et, inspirés par Clémentine qui s’est convertie au bio, on s’est mis à la permaculture. Hier nous avons planté des Charlottes, on s’entraine à l’auto- suffisance, si ça durait.
Agnès a fait un pain, il est magnifique, et aussi bon que beau.
Et puis, on va essayer de répondre aux deux questions existentielles que se posent tous les français en ces temps d’incertitude :
Qu’est-ce qu’on mange aujourd’hui ?
Qu’est-ce qu’il y a à la télé ce soir ?
La prochaine fois, je vous expliquerai pourquoi j’ai montré mes fesses à un légionnaire….
D’ici là, restez au chaud…





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