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 Suze la Rousse

Jeudi 19 mars.

Mais quelle drôle d’idée qu’un récit de voyage en période de confinement !

Quelle mouche le pique ?

Et bien deux trois raisons :

Parce que le clavier me démange. Ce ne sont pas mes petits camarades du Bureau de CINEBOL qui me démentiront : ils sont courtois, ils ne protestent pas encore devant l’avalanche de messages dont je les bombarde, mais ça me pend au nez.

Parce que on ne peut pas regarder les chaines d’infos en boucle.

Parce qu’on ne peut pas pleurer toute la journée sur notre retraite qui se barre, nos économies qui fondent, notre assurance vie qui s’évapore, nos artères qui se bouchent et nos articulations qui coincent.

Parce que cela peut constituer un lieu d’échanges, et permettre de créer du lien dans une petite communauté, un peu plus large que le cercle familial, dans ces circonstances anxiogènes

Et parce qu’il faut penser à nos ami (e)s confiné (e)s, parfois seul (e)s, et qu’un peu de distraction, sans prétention, peut les aider à passer un moment

Nous sommes donc, toutes et tous, partis pour un voyage dans un continent inconnu, le confinement.

Je vais essayer, voyageur bavard, de vous transmettre, comme d’habitude, nos impressions, nos émotions, et parfois nos colères. Il y aura moins de photos que d’habitude, moins de rencontres, on s’en doute, mais plus de prises de position. A chacun ( e)  de réagir, la partie commentaires est faite pour ça.

Bienvenue à bord donc. N’en veuillez pas trop à l’agence de voyage qui l’a organisé, elle a négligé les équipements de sécurité, mais c’est gratuit, ouvert à tous et sans formalités d’inscription !

Je jette un œil en même temps sur « C dans l’air » On peut y entendre le Dr  Hamon, président d’un syndicat de médecins qui déverse un tombereau d’imprécations sur ces irresponsables qui nous gouvernent, incapables de fournir des masques!

On peut comprendre sa colère car il est contaminé, mais quand on lui demande comment il l’a été, il précise qu’il disposait bien d’un masque lors de sa visite chez un patient infecté, mais qu’il l’a mis trop tard !  Son message devient tout de suite un peu moins convaincant…

Comme sont peu professionnels tous ces journalistes qui, interrogeant experts auto proclamés et politiques retors veulent leur souffler leurs réponses : ne pensez- vous pas que … ? est ce que vous êtes préparés à faire du tri entre ceux qui seront soignés et les autres… ?

Bien sûr qu’ils trieront, ils n’auront pas d’autre choix, alors pourquoi, d’avance , vouloir faire pleurer Margot?

Mais revenons aux masques, ici, comme ailleurs, c’est la pénurie.

Avec le dévouement, la compassion et l’énergie qui la caractérisent, Agnès s’est jetée dans la confection de masques en tissus. (Il faut que je soigne son égo, nous sommes confinés..)

Clémentine lui a trouvé un tutoriel, j’en communique l’adresse pour ces messieurs dames experts en couture. Je dis messieurs sans beaucoup d’illusions, mais je veux éviter les remarques de René et des suffragettes de CINEBOL sur mon machisme latent.

Adresse du site, donc :

https://moman-imparfaite-com/2020/02/coudre-un-masque-de-protection-tuto-couture-1/

Le principe est simple, il faut insérer un tissu quasi imperméable, le bul (?), entre deux étoffes, coudre en forme et rajouter des élastiques de fixation.

Le bul étant introuvable actuellement, on peut, et ce qu’a fait Agnès, utiliser le textile imperméable constituant les protège matelas. On y a sacrifié les alèzes des lits d’enfants, gare aux prochains pipis au lit..

Principe simple donc, mais mise en œuvre longue, Agnès est clouée sur sa machine depuis trois jours.

On peut quand même choisir son style: pour sa première production, Agnès a privilégié les petits pandas. Nos petites filles ont adoré.

Normalement on ne publie pas de photos d’enfants sur internet, mais ce blog est privé et tous ses lecteurs de confiance, non ? Et on a l’accord des parents.

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Elles sont mimi, Lou, l’ainée est tout le portrait de son père, Emma, celui de sa mère, et les masques leur vont à ravir.

Côté pandas, Eulalie, notre cadette, 33 ans déjà, a aussi aimé. Par contre elle l’a mis à l’envers, la pointe en bas, au motif que, sinon, les pandas auraient eu la tête en bas ! ( ne nie pas, on a les photos )

C’est bien la peine qu’on lui ai payé, fort cher, des études supérieures pour un tel résultat ! Et pas étonnant alors qu’un pays dirigé par des énarques ne soit pas capable d’avoir les stocks de sécurité indispensables..

J’arrête de la charrier : il faut surtout y voir l’absolue confiance qu’elle a dans la rigueur et le sens de l’esthétique de sa mère qui, en temps normal ne transige pas avec les principes. Mais là, la nécessité d’économiser la matière première et l’urgence du besoin ont eu raison des contraintes décoratives, les pandas ont donc parfois la tête en bas. D’ailleurs, maintenant, elle est passée aux rayures.

Agnès a confectionné une quarantaine de masques, les a distribués aux infirmières libérales, ravies car démunies, et aux commerçants. Plus réservés au début, ceux là, car ils craignaient d’effaroucher leurs clients. Depuis, ils s’y sont mis, sauf la boulangère, qui a fait le masque, si j’ose dire : « c’est pas légal… »

On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, selon le bon sens populaire.

La fromagère, elle, s’est étonnée qu’Agnès lui en propose gratuitement et, en retour, lui a offert un demi- Maroilles.

Un Maroilles ! A Suze ! Et à une lilloise en plus ! (Authentique, je n’aurais pas pu l’inventer..)

J’y vois une preuve de plus des ravages de la mondialisation.

Macron ayant annoncé des mesures de rupture pour lutter contre le phénomène, j’espère qu’il interdira la commercialisation du Maroilles au-delà d’un rayon de 50 km autour d’Avesnes sur Helpe : il faut privilégier les circuits courts.

Redevenons sérieux : le Maroilles est une des manifestations du génie humain. J’aurais voulu écrire « français », mais le nationalisme se porte mal en ce moment. Pour les croyants, c’est une preuve de l’existence de Dieu.

Alors, pour la fête de réouverture du cinéma, il y aura une énorme tarte au Maroilles, mais il faudra pouvoir la réchauffer : il faut que ça sente, et fort.

A très bientôt, et restez au chaud.

Suze la Rousse. Dimanche 22 mars.

Merci pour tous vos commentaires, on est heureux d’avoir ainsi des nouvelles.

L’impatience mentionnée par certain (e)s  à la suite de la 1° publication me donne le trac : il va falloir assurer !

Et si la crise dure, à, mettons, deux éditions par semaine, ça fera une douzaine de textes à produire. Serais-je en capacité de maintenir l’intérêt sur la distance ?  (Avez-vous remarqué ? je pratique la novlangue : plus personne ne dit « je suis capable de.. », mais affirme « je suis en capacité de.. »  ça doit être performatif, comme on dit aussi beaucoup aujourd’hui)

L’avenir le dira. Une chose est sûre, personne ne m’y a forcé. Et lorsque je partirai en vrille, pas de doute, j’aurai des réactions.

De toute façon, cela sera toujours sous le contrôle de ma commission de censure : Agnès a en effet, malgré son indulgence à mon égard, et grâce à (à cause de ?) une mère instit et une éducation catho, une grande intuition sur ce qui est convenable. Je ne publierai rien sans son imprimatur, et ça me permet de diluer ma responsabilité..

Un petit rappel avant de commencer. Pour ceux qui se demandent où est ce foutu bled de Wuhan, vous pouvez vous référer à l’article « 2015 -06-26 – Chine Hunan et Hubei » de ce même blog. Nous y avions vécu une expérience gastronomique instructive. Heureusement, pas du pangolin !

Revenons aux masques : Agnès a poursuivi sa tournée chez les commerçants, et le receveur des postes lui en a demandé pour toute son équipe. Dix facteurs à équiper ! ça promet encore quelques heures, courbée sur la machine. Elle en aura confectionné en tout 60 …

On attend avec impatience le prochain passage du préposé : dans une voiture jaune, un bec de canard blanc sur un uniforme bleu, ça va être croquignolet. Et il ne faudra pas qu’ils se plaignent, ils auront échappé aux pandas roses !

Dommage que les élections soient passées. Avec la notoriété qu’elle vient d’acquérir, Agnès aurait été élue au premier tour. A propos d’élections, à Suze, une liste d’opposition, menée par un parfait inconnu, huissier qui plus est, a recueilli 49% des voix. Faut-il que les sortants aient été à ce point mauvais, sans vision et surtout préoccupés de bonifier leurs terres agricoles en les rendant constructibles, pour susciter aussi peu d’envie…

Pour revenir à l’actu anxiogène, vu il y a trois jours dans « 28mn », sur Arte, une interview de René Fregni. Ce visiteur de prisons, promoteur de la littérature auprès des détenus, nous a fait découvrir une réalité ignorée : les détenus ne supporteraient l’enfermement que grâce à quelques petits câlins glanés lors des visites, et surtout aux chichons du soir procurés par leurs familles.

L’interdiction des visites, imposée récemment en raison des risques de contamination, entraine non seulement l’arrêt de l’apport de linge propre (j’ignorais d’ailleurs que c’était à la charge des familles), mais aussi de l’approvisionnement en cannabis. Selon lui, le manque, puis les insomnies à venir provoqueront sous peu une explosion de violence comme on en a rarement vécue. Glaçant ! C’est d’ailleurs ce qui s’est produit en Italie.

Les autorités en sont conscientes. Le « Monde » d’hier nous informe des actions en cours au niveau de la chancellerie pour désaturer les prisons, en limitant pour les petites peines, les incarcérations et en anticipant les libérations. L’extrême droite va brailler !

N’empêche, sur 72 000 détenus en France, 46 000 sont dans des cellules qui regroupent 3 à 4 détenus, et près de 1700 dorment sur des matelas, au sol.

Un système de santé en déroute, une magistrature harassée, une administration pénitentiaire impuissante, des instituteurs sous- payés, des flics à qui on ne règle pas les heures sup , et le taux de prélèvements obligatoires le  plus élevé de l’OCDE . Comment en est-on arrivé là, dans la 6° puissance économique du monde ?

Que ceux qui ont des idées, m’expliquent, je suis preneur.

Allez, la télé n’est pas toujours aussi inquiétante, elle offre aussi de jolis moments. La nuit dernière, mais à 3h du matin, une bio de Jean Ferrat. J’avais oublié à quel point ses chansons étaient belles et sa voix prenante. J’ignorais également qu’il avait été marié à Christine Sèvres, chanteuse réaliste des années soixante. On a pu la voir interpréter une chanson que je n’avais jamais entendue en entier, mais que notre père fredonnait, faux, quand nous étions enfants, sans jamais parvenir à dépasser le 1° refrain : « faudrait voir à pas mélanger les torchons avec les serviettes… »

Et surtout, un cadeau, ces quelques vers du moustachu, qui vous chatouillent la nostalgie :

Faut-il pleurer, faut il en rire ?

Faut il en rire ou en pleurer ?

On n’a pas le cœur à le dire

On ne voit pas le temps passer..

 

Bon. Ce n’est pas ça qui nous ramènera le sourire. Alors on va changer de registre :

Hier matin, nous avons franchi une étape dans les mesures de rétorsion vis-à-vis des infractions aux règles de confinement.

Cela fait des années que les poules du voisin s’autorisent des incursions dans notre jardin.

Il faut que j’explique, pour celles et ceux qui ne connaissent pas « la Garriguette » : isolée, à 500 m du premier voisin, nous l’avons achetée à un agriculteur, qui y élevait des autruches, des volailles et des cochons. Il y avait aussi un labo, dans lequel il transformait, pour la vente directe, sa production.

Après nous avoir vendu la ferme, il s’est exilé à deux kilomètres, puis ayant connu quelques déboires, est revenu installer son exploitation dans la parcelle mitoyenne. Nous n’avons pas protesté, nous sommes, on l’a dit, partisans des circuits courts

Plus court, tu meurs : nous voisinons avec ses volailles, et un peu plus loin, avec les cochons dont la production a été reprise par son fils. Pas de problèmes d’odeurs heureusement, le vent vient rarement du sud dans la région.

Ce ne sont pas des « patta negra », dommage, mais la charcuterie est excellente. Philippe le sait bien, qui vient parfois se faire payer un café quand il effectue, le vendredi matin, sa recharge en cholesterol.

Pas des patta negra, donc, mais ça doit être une variété de cochons baladeurs, les plus espiègles venant de temps en temps creuser leur bauge dans notre gazon, ça agace.

On a même vu une truie et ses douze petits défiler devant nos fenêtres pendant un repas de noël. Et on n’a pas pu, alors, leur montrer ce qui les attendait : cette année-là, ce n’était pas « jambon braisé au champagne » mais « oie farcie aux truffes ».

Jérémy, le fils, est tellement adorable, et courageux, qu’on ne saurait se fâcher avec lui. On a donc, pour éviter les chicayas, déployé des mesures « barrière » et installé une clôture électrique modèle « sangliers », ça les a calmés.

Quant aux pintades, c’est bien connu, ça gueule tant que ça peut. Alors, à 8 heures quand on se met à la fenêtre pour applaudir les soignants, tout seuls dans notre campagne, il n’y a qu’elles pour se joindre à nous. On leur en est reconnaissants.

Mais les poules… Rien ne les arrête, elles gratouillent dans nos plates- bandes, arrachent les fleurs. On a longtemps supporté, on en a rebalancé des dizaines, pialliantes, par-dessus les clôtures, Bonjour chez vous !

Cependant, maintenant, elles risquent de saloper notre béton. (Quel béton ? On en reparlera, il faut que je garde de la matière pour la suite)

Rétorsion donc. Il faut sévir, faire un exemple, et ce matin, j’ai choppé une récidiviste.

J’en profiterai, en préparation d’un confinement extrême, pour remplir le congélo.

Attention, le passage qui suit contient des scènes d’une violence insoutenable qui risquent de heurter les personnes sensibles. Elles sont déconseillées aux femmes enceintes et interdites aux moins de 16 ans.

Il m’a fallu retrouver des gestes séculaires. Passer et repasser la lame du couteau sur le fusil, en tester le fil sur le pouce, chercher les carotides, trancher, le geste, faute d’expérience, trop imprécis, puis m’écarter rapidement.

Ensuite ébouillanter, plumer, le duvet colle partout, et vider la bête. Là je ne détaille pas, c’est une sensation dégueulasse.

Griller les piquots qui résistent, laver, puis égoutter avant d’emballer. Laisser trois jours au frigo avant de congeler.

Un conseil, pour celles ou ceux qui voudraient pratiquer sur leur balcon : lier les pattes, les ailes si on peut, mais c’est plus difficile. Sinon, comme on dit à Valenciennes, ça espitte…

 

Hélas, une fois déparée de son plumage, la pauvrette était un peu maigrichonne.

Je ne voudrais pas que cette dernière formulation, sans doute excessivement teintée d’anthropomorphisme, ne suscite de douteuses interprétations.

Je rappelle que ceci est une fiction, et que toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé, est purement fortuite.

Et si d’aventure, des lecteurs ou lectrices pinailleurs (euses) venaient à m’objecter qu’il s’agit forcément d’une réminiscence d’une expérience vécue, et s’ils (elles) insistaient beaucoup, alors j’avouerais sans doute que, en un temps très lointain, celui de l’adolescence où la peur de manquer pousse à faire feu de tout bois, alors là, oui, peut être…

Mais, comme l’affirmait le cardinal Barbarin, grâce à Dieu, c’est prescrit…

Et puis merde, les filles maigres, elles aussi, ont aussi droit à l’amour !

Agnès se demande si je n’ai pas fumé de la moquette. Vous aussi sans doute, mais moi, je vous avais prévenu que ça partirait en vrille. Le confinement….

 

Suze la Rousse.  Jeudi 26 mars.

Merci de tous vos messages, c’est fort agréable de recevoir des nouvelles et des compliments, mais, s’il vous plait, n’oubliez pas de signer, le système ne permet pas toujours d’identifier l’auteur du commentaire…

Agnès continue à fabriquer des masques, mais à un rythme moins soutenu : Il faut dire que tous les commerçants et les facteurs sont maintenant équipés, la demande s’est tarie.

Et il y a peut- être de la concurrence. Chacun s’y met, la créativité se libère : on a vu, sur internet, des couples partager un soutien-gorge et se coller les bonnets sur le museau. Pourquoi pas, au fond, mais si madame s’épanouit dans des bonnets H, il risque d’y avoir des problèmes d’étanchéité.

Et même les entreprises de textile s’y mettent : la société « Le Slip Français » a lancé des productions, on espère qu’ils ne se tromperont pas d’emballage.

Plus important : nous avons découvert dans le « Canard enchainé » de cette semaine, la cause de la pandémie : le frère de Tariq Ramadan, cul béni et bas de plafond comme il en existe (trop) dans toutes les religions, a affirmé que c’était un châtiment divin, punition du comportement débauché des sociétés occidentales, perverties par le stupre et la fornication. Il faut dire que, vu le parcours judiciaire de son frangin, il sait de quoi il parle.

Et donc la prochaine pandémie sera à la hauteur du péché : un SIDA +++

On n’ose imaginer les équipements de protection que nous tricoteront les cousettes à domicile.

Bon, ça, c’est fait…C’était ma petite revanche sur Clémentine. La génétique est implacable : instit, et donc normative, comme sa grand-mère, elle a décidé de me mettre sous tutelle. Si on la suit dans cette voie, encore un écart, et c’est la camisole !

Heureusement, vous m’avez défendu. Surtout Josette, qui, par ses brillants articles de voyage m’a donné envie de l’imiter. Josette, une fois déconfinés, je viens te faire la bise !

 

J’ai intitulé ce babillage « Nostalgies » et pas « Gaudriole ». Il faut donc que je me reprenne.

Nostalgies car j’ai constaté que l’épisode de la poulette avait fait surgir, chez certaines d’entre vous, des souvenirs lointains, et l’émotion qui va avec. Il ne faut pas gratter très longtemps la carapace pour retrouver l’enfant que nous avons été.

L’enfance pour nous, ça a surtout été « Brétoche », la bicoque que notre grand père avait construite, pièce par pièce, je devrais dire parpaing par parpaing puisqu’il les moulait unitairement, à la sortie de la guerre, à Brétigny sur Orge, une trentaine de km au sud de la capitale. Habitant Paris, nous y allions, en famille, passer les longs weekends et les vacances, au « bon air ».

Il fallait nous voir, le soir tombant, au débarqué du train, traverser vaillamment « la plaine », vaste étendue consacrée aux plantations multicolores du semencier « Lucien Clause », les gamins et les mamans chargés de balluchons, les hommes portant, reliées par une ceinture, les valises sur l’épaule, tous chantant « les gaulois sont dans la plaine.. » ou « 1km à pied, ça use, ça use.. », avant d’atteindre, à 4 km, la maison, et son odeur si particulière après une longue fermeture.

La nostalgie, ce n’est pas cultiver le conservatisme réactionnaire du « c’était mieux avant », ce qui n’était évidemment pas le cas au vu de ce qu’ont vécu nos parents et grand- parents, dans un siècle qui enchaina guerres mondiales et coloniales, mais c’est revivre les moments heureux et l’insouciance de l’enfance, c’est retrouver l’acidité sucrée des « Mistrals gagnants »

Il m’est difficile de comprendre aujourd’hui comment nous parvenions, la dizaine d’adultes et les 8 cousins, à tenir autour de la table. Quand nous retournons, rarement, à Brétigny, la pièce principale, dont les meubles n’ont pas changé depuis, parait tellement petite et encombrée !

Pour le couchage, c’était plus simple : on déployait les lits pliants, et après un chahut joyeux, les marmots y dormaient tête bêche. Quant aux adultes, s’ils parvenaient à trouver le sommeil, c’était le dos ruiné par les matelas défoncés et les sommiers d’un autre âge.

Nous nous régalions de la cuisine de notre grand-mère, en particulier les plats italiens des jours de fête. Les raviolis « maison », à base de ricotta et d’épinards, que l’on se chamaillait pour découper à la roulette de bois, et surtout la polenta, d’une simplicité absolue, mais qu’il fallait mériter, au prix de 3 heures de cuisson, car à l’époque la semoule de maïs précuite n’existait pas.

Pas question d’arrêter de tourner le rouleau de bois qui permettrait de limiter la formation de la croûte, en fond de marmite. Limiter, pas éviter, car c’était impossible, inhérent au procédé, et il fallait donc se relayer, les bras rompus, pendant l’opération.

Puis, consistance atteinte, déverser la masse sur la large planche qui garnissait la table, l’étaler au rouleau, la napper d’une mince couche de sauce tomate, avec des cèpes les grands jours, quand on en avait reçu d’Italie, la saupoudrer de parmesan, prédécouper des rectangles, et ensuite, à l’attaque : chacun, armé d’une fourchette, s’efforçant d’engouffrer au plus vite la portion devant lui, c’est dur, quand on rit de plaisir, avant d’attaquer, en douce et en détournant son attention, celle du voisin…Le nirvana de la convivialité…

On était, on l’aura compris, chez les ritals. Maçons, plombiers, manutentionnaires aux halles, leurs épouses élevant la marmaille, faisant des ménages, les Leonardi, frères et sœurs, cousins proches, chassés par la misère, avaient choisi la France après la grande guerre, celle de 14. Bien que regroupés, faisant « communauté », pour mieux affronter les angoisses du déracinement, ils n’avaient pas totalement coupé les ponts avec le pays, mais décidé l’intégration.

A aucun de leurs enfants ne fut donné un prénom italien, aucun ne parlerait la langue de leurs pères. Mais leur génération garderait ses recettes de cuisine, continuerait à pratiquer la « briscola » jeu de cartes aux règles qui me resteront mystérieuses, à entonner en chœur, à la fin des repas de fêtes, la « Mazzolina dei fiori », les ténors se surpassant au final dans les contre-chants, et à utiliser quelques expressions dialectales, qui ne ressurgissaient que dans de rares circonstances, toujours les mêmes.

Qui pourra traduire « a basen ! », répété crescendo lorsque la boule de pétanque inexorablement, se rapproche, et arrachant le point, s’immobilise enfin, à touche-touche du bouchon ?

Car, à Brétoche, il y avait un terrain de boules, où notre grand père entrainait les hommes, pas toujours enthousiastes, à l’heure de la sieste, et pour les femmes, celle de la vaisselle, chacun sa place quand-même, on était bien chez les ritals !

Il y avait du progrès d’ailleurs : à ce qu’on nous disait, du temps des arrières grands-parents, la nonna restait debout pendant le repas du patriarche, attentive à le servir.

Nous, les gamins, aux boules, on tenait l’ardoise pour compter les points.

Et, les jours de canicule, les baignades dans l’Orge, vélos abandonnés sur les berges, dans les hurlements de rire et les éclaboussures…

Si nous nous sentions plus proches de nos grands-parents maternels que de notre « papé » provençal, c’était, bien sûr, parce que la distance nous le rendait plus étranger, et parce que, ayant eu 11 enfants et une ribambelle de petits enfants, il ne pouvait, sans doute, être aussi attentif à chacun.

Ils étaient, eux, toujours présents, d’une gentillesse infinie et d’une simplicité absolue. En témoignent ces souvenirs si personnels que, sans le confinement qui favorise l’introspection et l’impudeur, je ne les aurais sans doute jamais partagés : le jour de ma communion, sans malice, je racontai à mon grand- père qu’un de mes camarades avait reçu une montre en cadeau. « En veux tu une ? », me dit- il en débouclant son bracelet et me tendant la sienne, …Je l’ai conservée longtemps.

Quant à ma grand-mère, alors qu’étudiant, je logeais chez eux durant un travail d’été que mon oncle, détaillant en fruits et légumes, avait eu la gentillesse de m’assurer, et avec qui je connus des moments inoubliables, les chaudes nuits d’août, dans ce monde nouveau pour moi, le marché de gros de Rungis, ma grand-mère donc, qui me proposa de recoudre un accroc que j’avais fait à un vêtement.

Elle me le rendit, résultat pas terrible avec ses mains déformées par l’arthrose, en me disant, dans son français mal maitrisé : « j’ai fait ce que j’ai poulu »

La larmichette me vient.

Alors, pour retrouver bien vite le sourire, une autre histoire de nostalgie, pour les amoureux de cinéma :

Me revient en mémoire, un journaliste télé conduisant, à une heure de grande écoute un entretien avec Jean Rochefort, au soir de sa vie, et qui le questionna, avec l’onctuosité d’un Jacques Chancel :

« Après une centaine de films, réalisés par les plus grands, avec les plus séduisantes actrices, auriez- vous, cher Jean Rochefort, des regrets ? »

Et le vieux brigand, yeux malicieux et moustache frissonnante, de répondre :

« Oh que oui ! Je regrette mes érections de jadis »

Même hors des périodes de confinement, les journalistes peuvent connaitre des grands moments de solitude….

A très bientôt