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 Suze la Rousse

Jeudi 19 mars.

Mais quelle drôle d’idée qu’un récit de voyage en période de confinement !

Quelle mouche le pique ?

Et bien deux trois raisons :

Parce que le clavier me démange. Ce ne sont pas mes petits camarades du Bureau de CINEBOL qui me démentiront : ils sont courtois, ils ne protestent pas encore devant l’avalanche de messages dont je les bombarde, mais ça me pend au nez.

Parce que on ne peut pas regarder les chaines d’infos en boucle.

Parce qu’on ne peut pas pleurer toute la journée sur notre retraite qui se barre, nos économies qui fondent, notre assurance vie qui s’évapore, nos artères qui se bouchent et nos articulations qui coincent.

Parce que cela peut constituer un lieu d’échanges, et permettre de créer du lien dans une petite communauté, un peu plus large que le cercle familial, dans ces circonstances anxiogènes

Et parce qu’il faut penser à nos ami (e)s confiné (e)s, parfois seul (e)s, et qu’un peu de distraction, sans prétention, peut les aider à passer un moment

Nous sommes donc, toutes et tous, partis pour un voyage dans un continent inconnu, le confinement.

Je vais essayer, voyageur bavard, de vous transmettre, comme d’habitude, nos impressions, nos émotions, et parfois nos colères. Il y aura moins de photos que d’habitude, moins de rencontres, on s’en doute, mais plus de prises de position. A chacun ( e)  de réagir, la partie commentaires est faite pour ça.

Bienvenue à bord donc. N’en veuillez pas trop à l’agence de voyage qui l’a organisé, elle a négligé les équipements de sécurité, mais c’est gratuit, ouvert à tous et sans formalités d’inscription !

Je jette un œil en même temps sur « C dans l’air » On peut y entendre le Dr  Hamon, président d’un syndicat de médecins qui déverse un tombereau d’imprécations sur ces irresponsables qui nous gouvernent, incapables de fournir des masques!

On peut comprendre sa colère car il est contaminé, mais quand on lui demande comment il l’a été, il précise qu’il disposait bien d’un masque lors de sa visite chez un patient infecté, mais qu’il l’a mis trop tard !  Son message devient tout de suite un peu moins convaincant…

Comme sont peu professionnels tous ces journalistes qui, interrogeant experts auto proclamés et politiques retors veulent leur souffler leurs réponses : ne pensez- vous pas que … ? est ce que vous êtes préparés à faire du tri entre ceux qui seront soignés et les autres… ?

Bien sûr qu’ils trieront, ils n’auront pas d’autre choix, alors pourquoi, d’avance , vouloir faire pleurer Margot?

Mais revenons aux masques, ici, comme ailleurs, c’est la pénurie.

Avec le dévouement, la compassion et l’énergie qui la caractérisent, Agnès s’est jetée dans la confection de masques en tissus. (Il faut que je soigne son égo, nous sommes confinés..)

Clémentine lui a trouvé un tutoriel, j’en communique l’adresse pour ces messieurs dames experts en couture. Je dis messieurs sans beaucoup d’illusions, mais je veux éviter les remarques de René et des suffragettes de CINEBOL sur mon machisme latent.

Adresse du site, donc :

https://moman-imparfaite-com/2020/02/coudre-un-masque-de-protection-tuto-couture-1/

Le principe est simple, il faut insérer un tissu quasi imperméable, le bul (?), entre deux étoffes, coudre en forme et rajouter des élastiques de fixation.

Le bul étant introuvable actuellement, on peut, et ce qu’a fait Agnès, utiliser le textile imperméable constituant les protège matelas. On y a sacrifié les alèzes des lits d’enfants, gare aux prochains pipis au lit..

Principe simple donc, mais mise en œuvre longue, Agnès est clouée sur sa machine depuis trois jours.

On peut quand même choisir son style: pour sa première production, Agnès a privilégié les petits pandas. Nos petites filles ont adoré.

Normalement on ne publie pas de photos d’enfants sur internet, mais ce blog est privé et tous ses lecteurs de confiance, non ? Et on a l’accord des parents.

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Elles sont mimi, Lou, l’ainée est tout le portrait de son père, Emma, celui de sa mère, et les masques leur vont à ravir.

Côté pandas, Eulalie, notre cadette, 33 ans déjà, a aussi aimé. Par contre elle l’a mis à l’envers, la pointe en bas, au motif que, sinon, les pandas auraient eu la tête en bas ! ( ne nie pas, on a les photos )

C’est bien la peine qu’on lui ai payé, fort cher, des études supérieures pour un tel résultat ! Et pas étonnant alors qu’un pays dirigé par des énarques ne soit pas capable d’avoir les stocks de sécurité indispensables..

J’arrête de la charrier : il faut surtout y voir l’absolue confiance qu’elle a dans la rigueur et le sens de l’esthétique de sa mère qui, en temps normal ne transige pas avec les principes. Mais là, la nécessité d’économiser la matière première et l’urgence du besoin ont eu raison des contraintes décoratives, les pandas ont donc parfois la tête en bas. D’ailleurs, maintenant, elle est passée aux rayures.

Agnès a confectionné une quarantaine de masques, les a distribués aux infirmières libérales, ravies car démunies, et aux commerçants. Plus réservés au début, ceux là, car ils craignaient d’effaroucher leurs clients. Depuis, ils s’y sont mis, sauf la boulangère, qui a fait le masque, si j’ose dire : « c’est pas légal… »

On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, selon le bon sens populaire.

La fromagère, elle, s’est étonnée qu’Agnès lui en propose gratuitement et, en retour, lui a offert un demi- Maroilles.

Un Maroilles ! A Suze ! Et à une lilloise en plus ! (Authentique, je n’aurais pas pu l’inventer..)

J’y vois une preuve de plus des ravages de la mondialisation.

Macron ayant annoncé des mesures de rupture pour lutter contre le phénomène, j’espère qu’il interdira la commercialisation du Maroilles au-delà d’un rayon de 50 km autour d’Avesnes sur Helpe : il faut privilégier les circuits courts.

Redevenons sérieux : le Maroilles est une des manifestations du génie humain. J’aurais voulu écrire « français », mais le nationalisme se porte mal en ce moment. Pour les croyants, c’est une preuve de l’existence de Dieu.

Alors, pour la fête de réouverture du cinéma, il y aura une énorme tarte au Maroilles, mais il faudra pouvoir la réchauffer : il faut que ça sente, et fort.

A très bientôt, et restez au chaud.

Suze la Rousse. Dimanche 22 mars.

Merci pour tous vos commentaires, on est heureux d’avoir ainsi des nouvelles.

L’impatience mentionnée par certain (e)s  à la suite de la 1° publication me donne le trac : il va falloir assurer !

Et si la crise dure, à, mettons, deux éditions par semaine, ça fera une douzaine de textes à produire. Serais-je en capacité de maintenir l’intérêt sur la distance ?  (Avez-vous remarqué ? je pratique la novlangue : plus personne ne dit « je suis capable de.. », mais affirme « je suis en capacité de.. »  ça doit être performatif, comme on dit aussi beaucoup aujourd’hui)

L’avenir le dira. Une chose est sûre, personne ne m’y a forcé. Et lorsque je partirai en vrille, pas de doute, j’aurai des réactions.

De toute façon, cela sera toujours sous le contrôle de ma commission de censure : Agnès a en effet, malgré son indulgence à mon égard, et grâce à (à cause de ?) une mère instit et une éducation catho, une grande intuition sur ce qui est convenable. Je ne publierai rien sans son imprimatur, et ça me permet de diluer ma responsabilité..

Un petit rappel avant de commencer. Pour ceux qui se demandent où est ce foutu bled de Wuhan, vous pouvez vous référer à l’article « 2015 -06-26 – Chine Hunan et Hubei » de ce même blog. Nous y avions vécu une expérience gastronomique instructive. Heureusement, pas du pangolin !

Revenons aux masques : Agnès a poursuivi sa tournée chez les commerçants, et le receveur des postes lui en a demandé pour toute son équipe. Dix facteurs à équiper ! ça promet encore quelques heures, courbée sur la machine. Elle en aura confectionné en tout 60 …

On attend avec impatience le prochain passage du préposé : dans une voiture jaune, un bec de canard blanc sur un uniforme bleu, ça va être croquignolet. Et il ne faudra pas qu’ils se plaignent, ils auront échappé aux pandas roses !

Dommage que les élections soient passées. Avec la notoriété qu’elle vient d’acquérir, Agnès aurait été élue au premier tour. A propos d’élections, à Suze, une liste d’opposition, menée par un parfait inconnu, huissier qui plus est, a recueilli 49% des voix. Faut-il que les sortants aient été à ce point mauvais, sans vision et surtout préoccupés de bonifier leurs terres agricoles en les rendant constructibles, pour susciter aussi peu d’envie…

Pour revenir à l’actu anxiogène, vu il y a trois jours dans « 28mn », sur Arte, une interview de René Fregni. Ce visiteur de prisons, promoteur de la littérature auprès des détenus, nous a fait découvrir une réalité ignorée : les détenus ne supporteraient l’enfermement que grâce à quelques petits câlins glanés lors des visites, et surtout aux chichons du soir procurés par leurs familles.

L’interdiction des visites, imposée récemment en raison des risques de contamination, entraine non seulement l’arrêt de l’apport de linge propre (j’ignorais d’ailleurs que c’était à la charge des familles), mais aussi de l’approvisionnement en cannabis. Selon lui, le manque, puis les insomnies à venir provoqueront sous peu une explosion de violence comme on en a rarement vécue. Glaçant ! C’est d’ailleurs ce qui s’est produit en Italie.

Les autorités en sont conscientes. Le « Monde » d’hier nous informe des actions en cours au niveau de la chancellerie pour désaturer les prisons, en limitant pour les petites peines, les incarcérations et en anticipant les libérations. L’extrême droite va brailler !

N’empêche, sur 72 000 détenus en France, 46 000 sont dans des cellules qui regroupent 3 à 4 détenus, et près de 1700 dorment sur des matelas, au sol.

Un système de santé en déroute, une magistrature harassée, une administration pénitentiaire impuissante, des instituteurs sous- payés, des flics à qui on ne règle pas les heures sup , et le taux de prélèvements obligatoires le  plus élevé de l’OCDE . Comment en est-on arrivé là, dans la 6° puissance économique du monde ?

Que ceux qui ont des idées, m’expliquent, je suis preneur.

Allez, la télé n’est pas toujours aussi inquiétante, elle offre aussi de jolis moments. La nuit dernière, mais à 3h du matin, une bio de Jean Ferrat. J’avais oublié à quel point ses chansons étaient belles et sa voix prenante. J’ignorais également qu’il avait été marié à Christine Sèvres, chanteuse réaliste des années soixante. On a pu la voir interpréter une chanson que je n’avais jamais entendue en entier, mais que notre père fredonnait, faux, quand nous étions enfants, sans jamais parvenir à dépasser le 1° refrain : « faudrait voir à pas mélanger les torchons avec les serviettes… »

Et surtout, un cadeau, ces quelques vers du moustachu, qui vous chatouillent la nostalgie :

Faut-il pleurer, faut il en rire ?

Faut il en rire ou en pleurer ?

On n’a pas le cœur à le dire

On ne voit pas le temps passer..

 

Bon. Ce n’est pas ça qui nous ramènera le sourire. Alors on va changer de registre :

Hier matin, nous avons franchi une étape dans les mesures de rétorsion vis-à-vis des infractions aux règles de confinement.

Cela fait des années que les poules du voisin s’autorisent des incursions dans notre jardin.

Il faut que j’explique, pour celles et ceux qui ne connaissent pas « la Garriguette » : isolée, à 500 m du premier voisin, nous l’avons achetée à un agriculteur, qui y élevait des autruches, des volailles et des cochons. Il y avait aussi un labo, dans lequel il transformait, pour la vente directe, sa production.

Après nous avoir vendu la ferme, il s’est exilé à deux kilomètres, puis ayant connu quelques déboires, est revenu installer son exploitation dans la parcelle mitoyenne. Nous n’avons pas protesté, nous sommes, on l’a dit, partisans des circuits courts

Plus court, tu meurs : nous voisinons avec ses volailles, et un peu plus loin, avec les cochons dont la production a été reprise par son fils. Pas de problèmes d’odeurs heureusement, le vent vient rarement du sud dans la région.

Ce ne sont pas des « patta negra », dommage, mais la charcuterie est excellente. Philippe le sait bien, qui vient parfois se faire payer un café quand il effectue, le vendredi matin, sa recharge en cholesterol.

Pas des patta negra, donc, mais ça doit être une variété de cochons baladeurs, les plus espiègles venant de temps en temps creuser leur bauge dans notre gazon, ça agace.

On a même vu une truie et ses douze petits défiler devant nos fenêtres pendant un repas de noël. Et on n’a pas pu, alors, leur montrer ce qui les attendait : cette année-là, ce n’était pas « jambon braisé au champagne » mais « oie farcie aux truffes ».

Jérémy, le fils, est tellement adorable, et courageux, qu’on ne saurait se fâcher avec lui. On a donc, pour éviter les chicayas, déployé des mesures « barrière » et installé une clôture électrique modèle « sangliers », ça les a calmés.

Quant aux pintades, c’est bien connu, ça gueule tant que ça peut. Alors, à 8 heures quand on se met à la fenêtre pour applaudir les soignants, tout seuls dans notre campagne, il n’y a qu’elles pour se joindre à nous. On leur en est reconnaissants.

Mais les poules… Rien ne les arrête, elles gratouillent dans nos plates- bandes, arrachent les fleurs. On a longtemps supporté, on en a rebalancé des dizaines, pialliantes, par-dessus les clôtures, Bonjour chez vous !

Cependant, maintenant, elles risquent de saloper notre béton. (Quel béton ? On en reparlera, il faut que je garde de la matière pour la suite)

Rétorsion donc. Il faut sévir, faire un exemple, et ce matin, j’ai choppé une récidiviste.

J’en profiterai, en préparation d’un confinement extrême, pour remplir le congélo.

Attention, le passage qui suit contient des scènes d’une violence insoutenable qui risquent de heurter les personnes sensibles. Elles sont déconseillées aux femmes enceintes et interdites aux moins de 16 ans.

Il m’a fallu retrouver des gestes séculaires. Passer et repasser la lame du couteau sur le fusil, en tester le fil sur le pouce, chercher les carotides, trancher, le geste, faute d’expérience, trop imprécis, puis m’écarter rapidement.

Ensuite ébouillanter, plumer, le duvet colle partout, et vider la bête. Là je ne détaille pas, c’est une sensation dégueulasse.

Griller les piquots qui résistent, laver, puis égoutter avant d’emballer. Laisser trois jours au frigo avant de congeler.

Un conseil, pour celles ou ceux qui voudraient pratiquer sur leur balcon : lier les pattes, les ailes si on peut, mais c’est plus difficile. Sinon, comme on dit à Valenciennes, ça espitte…

 

Hélas, une fois déparée de son plumage, la pauvrette était un peu maigrichonne.

Je ne voudrais pas que cette dernière formulation, sans doute excessivement teintée d’anthropomorphisme, ne suscite de douteuses interprétations.

Je rappelle que ceci est une fiction, et que toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé, est purement fortuite.

Et si d’aventure, des lecteurs ou lectrices pinailleurs (euses) venaient à m’objecter qu’il s’agit forcément d’une réminiscence d’une expérience vécue, et s’ils (elles) insistaient beaucoup, alors j’avouerais sans doute que, en un temps très lointain, celui de l’adolescence où la peur de manquer pousse à faire feu de tout bois, alors là, oui, peut être…

Mais, comme l’affirmait le cardinal Barbarin, grâce à Dieu, c’est prescrit…

Et puis merde, les filles maigres, elles aussi, ont aussi droit à l’amour !

Agnès se demande si je n’ai pas fumé de la moquette. Vous aussi sans doute, mais moi, je vous avais prévenu que ça partirait en vrille. Le confinement….

 

Suze la Rousse.  Jeudi 26 mars.

Merci de tous vos messages, c’est fort agréable de recevoir des nouvelles et des compliments, mais, s’il vous plait, n’oubliez pas de signer, le système ne permet pas toujours d’identifier l’auteur du commentaire…

Agnès continue à fabriquer des masques, mais à un rythme moins soutenu : Il faut dire que tous les commerçants et les facteurs sont maintenant équipés, la demande s’est tarie.

Et il y a peut- être de la concurrence. Chacun s’y met, la créativité se libère : on a vu, sur internet, des couples partager un soutien-gorge et se coller les bonnets sur le museau. Pourquoi pas, au fond, mais si madame s’épanouit dans des bonnets H, il risque d’y avoir des problèmes d’étanchéité.

Et même les entreprises de textile s’y mettent : la société « Le Slip Français » a lancé des productions, on espère qu’ils ne se tromperont pas d’emballage.

Plus important : nous avons découvert dans le « Canard enchainé » de cette semaine, la cause de la pandémie : le frère de Tariq Ramadan, cul béni et bas de plafond comme il en existe (trop) dans toutes les religions, a affirmé que c’était un châtiment divin, punition du comportement débauché des sociétés occidentales, perverties par le stupre et la fornication. Il faut dire que, vu le parcours judiciaire de son frangin, il sait de quoi il parle.

Et donc la prochaine pandémie sera à la hauteur du péché : un SIDA +++

On n’ose imaginer les équipements de protection que nous tricoteront les cousettes à domicile.

Bon, ça, c’est fait…C’était ma petite revanche sur Clémentine. La génétique est implacable : instit, et donc normative, comme sa grand-mère, elle a décidé de me mettre sous tutelle. Si on la suit dans cette voie, encore un écart, et c’est la camisole !

Heureusement, vous m’avez défendu. Surtout Josette, qui, par ses brillants articles de voyage m’a donné envie de l’imiter. Josette, une fois déconfinés, je viens te faire la bise !

 

J’ai intitulé ce babillage « Nostalgies » et pas « Gaudriole ». Il faut donc que je me reprenne.

Nostalgies car j’ai constaté que l’épisode de la poulette avait fait surgir, chez certaines d’entre vous, des souvenirs lointains, et l’émotion qui va avec. Il ne faut pas gratter très longtemps la carapace pour retrouver l’enfant que nous avons été.

L’enfance pour nous, ça a surtout été « Brétoche », la bicoque que notre grand père avait construite, pièce par pièce, je devrais dire parpaing par parpaing puisqu’il les moulait unitairement, à la sortie de la guerre, à Brétigny sur Orge, une trentaine de km au sud de la capitale. Habitant Paris, nous y allions, en famille, passer les longs weekends et les vacances, au « bon air ».

Il fallait nous voir, le soir tombant, au débarqué du train, traverser vaillamment « la plaine », vaste étendue consacrée aux plantations multicolores du semencier « Lucien Clause », les gamins et les mamans chargés de balluchons, les hommes portant, reliées par une ceinture, les valises sur l’épaule, tous chantant « les gaulois sont dans la plaine.. » ou « 1km à pied, ça use, ça use.. », avant d’atteindre, à 4 km, la maison, et son odeur si particulière après une longue fermeture.

La nostalgie, ce n’est pas cultiver le conservatisme réactionnaire du « c’était mieux avant », ce qui n’était évidemment pas le cas au vu de ce qu’ont vécu nos parents et grand- parents, dans un siècle qui enchaina guerres mondiales et coloniales, mais c’est revivre les moments heureux et l’insouciance de l’enfance, c’est retrouver l’acidité sucrée des « Mistrals gagnants »

Il m’est difficile de comprendre aujourd’hui comment nous parvenions, la dizaine d’adultes et les 8 cousins, à tenir autour de la table. Quand nous retournons, rarement, à Brétigny, la pièce principale, dont les meubles n’ont pas changé depuis, parait tellement petite et encombrée !

Pour le couchage, c’était plus simple : on déployait les lits pliants, et après un chahut joyeux, les marmots y dormaient tête bêche. Quant aux adultes, s’ils parvenaient à trouver le sommeil, c’était le dos ruiné par les matelas défoncés et les sommiers d’un autre âge.

Nous nous régalions de la cuisine de notre grand-mère, en particulier les plats italiens des jours de fête. Les raviolis « maison », à base de ricotta et d’épinards, que l’on se chamaillait pour découper à la roulette de bois, et surtout la polenta, d’une simplicité absolue, mais qu’il fallait mériter, au prix de 3 heures de cuisson, car à l’époque la semoule de maïs précuite n’existait pas.

Pas question d’arrêter de tourner le rouleau de bois qui permettrait de limiter la formation de la croûte, en fond de marmite. Limiter, pas éviter, car c’était impossible, inhérent au procédé, et il fallait donc se relayer, les bras rompus, pendant l’opération.

Puis, consistance atteinte, déverser la masse sur la large planche qui garnissait la table, l’étaler au rouleau, la napper d’une mince couche de sauce tomate, avec des cèpes les grands jours, quand on en avait reçu d’Italie, la saupoudrer de parmesan, prédécouper des rectangles, et ensuite, à l’attaque : chacun, armé d’une fourchette, s’efforçant d’engouffrer au plus vite la portion devant lui, c’est dur, quand on rit de plaisir, avant d’attaquer, en douce et en détournant son attention, celle du voisin…Le nirvana de la convivialité…

On était, on l’aura compris, chez les ritals. Maçons, plombiers, manutentionnaires aux halles, leurs épouses élevant la marmaille, faisant des ménages, les Leonardi, frères et sœurs, cousins proches, chassés par la misère, avaient choisi la France après la grande guerre, celle de 14. Bien que regroupés, faisant « communauté », pour mieux affronter les angoisses du déracinement, ils n’avaient pas totalement coupé les ponts avec le pays, mais décidé l’intégration.

A aucun de leurs enfants ne fut donné un prénom italien, aucun ne parlerait la langue de leurs pères. Mais leur génération garderait ses recettes de cuisine, continuerait à pratiquer la « briscola » jeu de cartes aux règles qui me resteront mystérieuses, à entonner en chœur, à la fin des repas de fêtes, la « Mazzolina dei fiori », les ténors se surpassant au final dans les contre-chants, et à utiliser quelques expressions dialectales, qui ne ressurgissaient que dans de rares circonstances, toujours les mêmes.

Qui pourra traduire « a basen ! », répété crescendo lorsque la boule de pétanque inexorablement, se rapproche, et arrachant le point, s’immobilise enfin, à touche-touche du bouchon ?

Car, à Brétoche, il y avait un terrain de boules, où notre grand père entrainait les hommes, pas toujours enthousiastes, à l’heure de la sieste, et pour les femmes, celle de la vaisselle, chacun sa place quand-même, on était bien chez les ritals !

Il y avait du progrès d’ailleurs : à ce qu’on nous disait, du temps des arrières grands-parents, la nonna restait debout pendant le repas du patriarche, attentive à le servir.

Nous, les gamins, aux boules, on tenait l’ardoise pour compter les points.

Et, les jours de canicule, les baignades dans l’Orge, vélos abandonnés sur les berges, dans les hurlements de rire et les éclaboussures…

Si nous nous sentions plus proches de nos grands-parents maternels que de notre « papé » provençal, c’était, bien sûr, parce que la distance nous le rendait plus étranger, et parce que, ayant eu 11 enfants et une ribambelle de petits enfants, il ne pouvait, sans doute, être aussi attentif à chacun.

Ils étaient, eux, toujours présents, d’une gentillesse infinie et d’une simplicité absolue. En témoignent ces souvenirs si personnels que, sans le confinement qui favorise l’introspection et l’impudeur, je ne les aurais sans doute jamais partagés : le jour de ma communion, sans malice, je racontai à mon grand- père qu’un de mes camarades avait reçu une montre en cadeau. « En veux tu une ? », me dit- il en débouclant son bracelet et me tendant la sienne, …Je l’ai conservée longtemps.

Quant à ma grand-mère, alors qu’étudiant, je logeais chez eux durant un travail d’été que mon oncle, détaillant en fruits et légumes, avait eu la gentillesse de m’assurer, et avec qui je connus des moments inoubliables, les chaudes nuits d’août, dans ce monde nouveau pour moi, le marché de gros de Rungis, ma grand-mère donc, qui me proposa de recoudre un accroc que j’avais fait à un vêtement.

Elle me le rendit, résultat pas terrible avec ses mains déformées par l’arthrose, en me disant, dans son français mal maitrisé : « j’ai fait ce que j’ai poulu »

La larmichette me vient.

Alors, pour retrouver bien vite le sourire, une autre histoire de nostalgie, pour les amoureux de cinéma :

Me revient en mémoire, un journaliste télé conduisant, à une heure de grande écoute un entretien avec Jean Rochefort, au soir de sa vie, et qui le questionna, avec l’onctuosité d’un Jacques Chancel :

« Après une centaine de films, réalisés par les plus grands, avec les plus séduisantes actrices, auriez- vous, cher Jean Rochefort, des regrets ? »

Et le vieux brigand, yeux malicieux et moustache frissonnante, de répondre :

« Oh que oui ! Je regrette mes érections de jadis »

Même hors des périodes de confinement, les journalistes peuvent connaitre des grands moments de solitude….

A très bientôt

 

 

 

Suze la Rousse.  Vendredi 03 avril.

J’avais dit : deux chroniques par semaine, mais je n’ai pas tenu le rythme. Aussi j’ai eu des reproches, il va donc falloir que je me rattrape.

« I banbini son l’allegria da ca. » comme disait ma grand-mère. Les enfants amènent la joie dans la maison. Où l’on verra que ça n’est pas toujours vrai….

Et d’abord, des nouvelles du front. Agnès s’est remise au turbin : après avoir accosté un gradé de la gendarmerie sur un barrage (drôle d’endroit pour une rencontre !) elle a proposé ses services, avec succès : elle a équipé toute la brigade de Suze.

Il a fallu se mettre d’accord sur le modèle. Elle leur a proposé un coton bleu légèrement passé, très tendance, et très adapté, car les bébés pandas sur fond rose, pour des pandores, ça ne l’aurait pas fait.

Et une coupe ajustée, seyante mais fonctionnelle, avec des poches plaquées pour ranger le sifflet. Non, là je galège, elle l’a joué efficace, il fallait aller vite et elle n’a pas eu le temps de broder les galons, ni la petite grenade à 7 flammes, en fil d’argent, c’est la territoriale.

Ils ont fait avec…

Et ensuite, elle a fourni le service déchets de la Communauté de communes, car les éboueurs étaient démunis. Eux, ils n’ont pas eu le choix du coloris. Elle doit en être aujourd’hui à une centaine de pièces.

Rien que pour ça, il est temps que ça s’arrête ou je vais me joindre à, la meute : « Où sont les masques ? Que fait le gouvernement ? Vite, une commission d’enquête ! Vite, la Cour de Justice » Au parlement, ça gesticule comme chez Guignol. Moins ils sont nombreux dans l’hémicycle, plus ils gigotent. On a les revanches qu’on peut…

Revenons au sujet.

7 juillet 2005.

Eulalie est à Londres, pour un séjour linguistique. A bientôt 19 ans, il y a longtemps qu’elle ne part plus en vacances avec nous, mais on a quand même tenu à ce qu’elle ait des vacances « utiles », obsession familiale, sans doute. Petites, nos filles ne partaient pas sans cahiers de devoirs de vacances dans leur valise.

Dans la matinée, nous sommes informés qu’une série d’attentats a ensanglanté Londres. Des bombes ont explosé au même moment dans trois rames de métro, puis une heure plus tard dans un bus, causant la mort de 55 personnes et blessant des centaines de voyageurs.

Longs moments d’angoisse, jusque à ce que nous parvenions, enfin, à joindre Eulalie, dans les locaux de l’université où ont lieu les cours.

Elle y restera confinée (déjà !) toute la journée. Le soir, elles rentreront à pieds, une heure 30 de marche quand même, tout le réseau est à l’arrêt. Le lendemain, certaines de ses camarades refuseront ce moyen de transport. Une autre, voyant un sikh en turban dans le wagon, et le prenant sans doute pour un islamiste, connaitra une crise d’angoisse et devra quitter la rame en vitesse. Pour l’anecdote, elle a fait du chemin depuis en politique, elle est devenue la suppléante de Christian Estrosi. Il faut espérer que son jugement s’est affiné entre temps…

En Angleterre, le climat s’est alourdi, mais les cours sont maintenus.  A son retour, nous irons l’attendre à Lille Europe, et en avance, d’impatience sans doute, on s’installera dans une brasserie. L’Eurostar, parti de St Pancrace, est en approche quand une escouade de flics vient s’engouffrer dans la gare, et nous fait évacuer les lieux : alerte à la bombe !

Malgré l’alerte, le train ne sera pas stoppé, et s’arrêtera le long de quais vides. Eulalie, que l’on tient informée par téléphone, nous dira, dans un murmure : si on ne se revoit pas, je vous aime..

A l’angoisse, elle aura rajouté l’émotion.

Avril 2009.

Eulalie est à Mexico pour 6 mois, dans une association de commerce équitable. Elle a fait une année de césure pendant ses études, qu’elle a décidé de scinder en trois périodes. Après 5 mois de stage en Equateur, puis Mexico, elle terminera par un job d’été à Londres.

On l’appelle, car ici, les médias annoncent les prémisses d’une épidémie de « grippe porcine » : le virus H1N1 vient de provoquer les premiers décès au Mexique…Elle comprend alors pourquoi beaucoup de monde, tout soudain, s’est mis à porter un masque, elle n’en savait rien.

Et quand le 1° ministre, commentant cette épidémie, est informé d’un tremblement de terre, oubliant qu’il est en direct, il s’exclamera : putain ! il ne nous manquait plus que ça..

Elle décide très vite de quitter Mexico, pour se réfugier à Queretaro, 200km au nord. Elle y a des amis, y ayant passé un semestre d’études universitaires. Etudes, façon de parler, car, si elle a clairement travaillé son espagnol, pour le reste, il semblerait que ce soient surtout les programmes touristiques et festifs qui aient été approfondis. Mais bon, dans les écoles de commerce, on insiste sur la capacité à se constituer un réseau. Sur ce plan, ça a l’air réussi…

Elle y retrouve donc ses potes, et une bande d’étudiants de tous pays. Et quand les universités qui les ont envoyés annonceront leur rapatriement, ils décideront de rester, par solidarité. On n’abandonne pas les camarades face à l’ennemi, même invisible. No pasaran !

Pendant ce temps- là, à l’arrière, nous, on se ronge, on envoie des masques, du Tamiflu qu’on s’est procuré, chut, en douce. Mais le colis n’arrivera jamais à sa destinataire…Il aura profité à quelqu’un d’autre.

L’épidémie s’éteindra au Mexique, après avoir affecté 5500 personnes, ne tuant que (!) 89 personnes, selon les chiffres officiels de l’époque. On signerait aujourd’hui pour ça !

Pas étonnant que Roselyne Bachelot se soit fait piéger avec ses millions de doses de vaccin et son milliard de masques. On l’a crucifiée, mais plus d’un, aujourd’hui, se réjouit de bénéficier des résidus du stock, même périmés.

Quelques semaines plus tard, Eulalie est à Londres. Elle loge dans un coin prolo, en coloc avec une équipe de chinois et une néo-zélandaise, chez un « marchand de sommeil » qui se fait payer cash à la semaine, elle a toujours eu un petit côté Arlette Laguiller.

Mais le virus l’a précédée, l’épidémie se répand dans Londres et gagne le quartier indo-pakistanais. Elle ressentira vite les premiers symptômes, mais ça n’affole personne, ses colocs ont été contaminés avant elle, n’ont rien dit, et se portent bien. Et elle pourra bénéficier des grandeurs du NHS, le système de santé britannique, ruiné par la mère Thatcher et ses descendants conservateurs : impossible de consulter un médecin, il faut aller sur internet s’auto diagnostiquer, et obtenir une prescription standard…

Elle s’en remettra vite, mais au vu de tout ce qui précède, elle mériterait le surnom de « La Scoumoune »

Elle est actuellement confinée à La Ciotat avec Thomas. N’allez pas par-là, on ne sait jamais…

 

Quant à Clémentine, Paul et elle ont décidé, rapidement, de se marier. Rapidement n’est peut-être pas le bon mot, puisqu’ils vivent ensemble depuis 10 ans et ont deux filles, mais comme nous avons vécu la même chose pendant 18 ans, ça nous parait rapide. Date de la fête : le samedi de Pentecôte.

Vu la brièveté de l’anticipation, ils n’ont pas trouvé de salle de réception disponible alors, dans ma grande inconscience, j’ai proposé notre hangar au motif que j’avais prévu d’y faire couler une dalle de béton. (Le béton ! Jacqueline, ça vient…). Ça a surpris, il faut croire que je n’en avais parlé à personne.

Sauf qu’un hangar agricole, même avec un sol tout neuf, ça n’est pas une salle de mariage : il a fallu le vider, et d’une, avec une douzaine de voyages à la déchetterie, remorque pleine. C’est fou ce qu’on entasse en 15 ans. Il y avait même deux ou trois cartons jamais ouverts depuis notre déménagement.

Il faudra le nettoyer, le peindre (ça, c’était pas prévu..), amener l’électricité, l’éclairage, rénover la distribution : il ne s’agit pas que tout saute quand le D.J. mettra le paquet !

Et pour commencer, faire la dalle. Le terrassier a tout remis de niveau, le maçon terminé son ferraillage.

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Et la centrale à béton a fermé ses portes, pour cause de confinement.

Depuis, on attend. Clem et Paul ont dû annuler le mariage. Ça a été un moment difficile, mais c’était la seule décision raisonnable, ça leur a au moins permis de cesser de vivre dans l’incertitude et de se projeter dans l’avenir. C’est repoussé d’un an, comme les jeux olympiques…

Ça aura au moins l’avantage de nous permettre de fignoler l’aménagement du jardin, qu’on avait un peu négligé pendant nos tribulations andines, ces jeunes gens ayant des idées très précises pour l’agencement de la cérémonie.

Et, inspirés par Clémentine qui s’est convertie au bio,  on s’est mis à la permaculture. Hier nous avons planté des Charlottes, on s’entraine à l’auto- suffisance, si ça durait.

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Agnès a fait un pain, il est magnifique, et aussi bon que beau.

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Et puis, on va essayer de répondre aux deux questions existentielles que se posent tous les français en ces temps d’incertitude :

Qu’est-ce qu’on mange aujourd’hui ?

Qu’est-ce qu’il y a à la télé ce soir ?

La prochaine fois, je vous expliquerai pourquoi j’ai montré mes fesses à un légionnaire….

 

D’ici là, restez au chaud…

 

Suze la Rousse.  Jeudi 09  avril.

La situation empire à Guayaquil, si jolie ville d’Equateur où nous avions séjourné en novembre. Selon « Le Monde » on ne parvient plus à évacuer rapidement les corps des victimes, qui restent sur les trottoirs dans les barrios surpeuplés, où le confinement est une vue de l’esprit.

Si la pandémie semble proche de son apogée en Europe, ce qui nous rapproche à grands pas de jours meilleurs, le pire reste à venir en Amérique du Sud, en Afrique, au Moyen 0rient, dans le continent indien.

Ne reste qu’à prier pour eux, si ça pouvait avoir de l’effet, et rester chez soi.

Quant aux USA, pour imaginer ce qui va se produire, il suffit de se baser sur le contraire de ce que dit Trump. En matière de guignolades, difficile de lutter avec lui.

Qu’un type comme lui soit aux manettes, ça fait froid dans le dos, alors qu’on a besoin de notes d’espoir… Alors, je ferai preuve d’un incurable optimisme en affirmant qu’on a toutes les chances de guérir d’une grave infection pulmonaire, et, je vais me permettre, une fois de plus, de parler de moi….

Début août 2005 :

Demain, je suis en vacances.

Il y a quelques jours, j’ai passé deux journées dans une salle sans ouvertures, avec trois collègues japonais. Nous devons en effet annoncer la fermeture d’une usine en Europe de l’ouest et une grève dure est inéluctable, Pas question cependant d’arrêter une ligne de montage chez un constructeur, en particulier japonais, ça n’est même pas imaginable. D’où la vérification, article par article de l’état des stocks avec chacun des responsables commerciaux concernés.

Il me reste à terminer quelques dossiers, quand une douleur fulgurante me transperce le côté gauche. Impossible de continuer à bosser.

Je quitte le bureau, fonce vers une pharmacie et me gave de paracétamol avant de revenir bâcler le travail, puis rentre à la maison.

Dès le lendemain, consultation. J’explique au toubib que nous avons déplacé des meubles le weekend précédent, que j’ai dû faire un faux mouvement, mais que la douleur est calmée. Il m’ausculte, ne détecte rien d’anormal, et me manipule pour remettre en place ce qui le mérite.

Et nous partons à Suze, retrouver Claire, sœur d’Agnès et Jean. Le jour suivant, une petite ballade au Ventoux s’impose, vu le grand beau temps. Il y a foule au sommet et, je me gare un peu près d’un touriste belge.

Il râle et me le fait savoir. Je précise que c’est un flamand, pour ne pas me fâcher avec mes amis d’outre Quiévrain.

Agnès estime que je me gare toujours comme un pied. Je m’inscris en faux : il m’arrive de bien me garer. Rarement, c’est vrai, mais je ne supporte pas qu’on m’en fasse remarque. D’où ces stimulants débats d’idées qui pimentaient notre vie intellectuelle, aux beaux jours d’avant le confinement. On les regretterait presque..

A peine rentrés, un coup de poignard derrière la clavicule me cloue sur une chaise, je gémis de douleur, et transpire à grosses gouttes. Agnès appelle un médecin, pendant que Jean, douillet pour deux et hypocondriaque, donc expert médical, me répète : « Prends sur toi !  Ça va passer, prends sur toi !»

Quinze ans après, je lui en veux encore.

Le médecin prescrit calmants et antibiotiques, il a diagnostiqué une pneumopathie à gauche et s’en va, en recommandant de l’appeler dans trois jours, pour faire le point.

Je passerai les trois jours suivants allongé sur un transat, sans amélioration : fièvre de cheval, grande faiblesse, semi- léthargie, sans le courage, ni l’envie, de bouger le petit doigt. Effet des médocs ou d’une infection ?

Contacté, le médecin prescrira une radio pulmonaire. On se rend rapidement à Valréas. Je suis dans le gaz dans la salle d’attente, une fois les clichés faits, quand le radiologue arrive en coup de vent : il faut l’hospitaliser d’urgence, il n’a plus qu’un poumon…

Agnès, sur recommandation du radiologue, dégotte une place à la clinique de Nyons, qui aurait un bon service de pneumo, où je suis admis dans l’heure.

Un test rapide de mesure du taux d’oxygène dans le sang révèle immédiatement un taux critique, pas étonnant que je sois affaibli, je n’oxygène plus que sur une patte. Et je frôle les 40°..

La jeune femme médecin responsable du service m’expliquera que j’ai une pneumonie, doublée d’une pleurésie, poche de liquide entre les deux parois de la plèvre. Ils vont donc me garder, en changeant immédiatement d’antibiotiques et en augmentant les doses..

Agnès me confiera, bien plus tard, que le toubib se demandait comment j’en étais arrivé là, et me jugeait dans un état critique, le poumon droit commençant à être affecté.

De mon côté, inconscient de la gravité de l’infection, même pas particulièrement inquiet, je suis satisfait d’être pris en charge. Et les infirmières, accortes forcément, seront aux petits soins …

Je serai brutalement ramené au réel : un grand type efflanqué, le cheveu ras, entre dans la chambre et se présente, avec un fort accent allemand :

Je m’appelle Kurt, je suis votre infirmier…

Celui- là, les premières fesses qu’il a piquées, ce devaient être celles des légionnaires du 1° Régiment Etranger de Cavalerie, à Orange ! Je crains le pire, quand mon tour viendra…

A l’usage, il s’avèrera vite qu’il avait les mains douces, et expertes : dès le lendemain, est prévue une ponction. En attendant, il installe les perfs.

Manque de pot, on est en août et la salle d’op étant en réfection, ils vont devoir faire la ponction à l’aveugle. Je suis assis sur le lit, tournant le dos au médecin et à l’infirmier qui m’enfoncent un trocart entre deux côtes. J’ai évité de regarder le diamètre de l’aiguille, et je l’entends qui guide la toubib

Ils y vont en force, ça résiste, mais c’est moins douloureux qu’attendu. Et, pour échapper à l’épreuve, mes pensées vagabondent, vers cette inversion des rôles, où l’ancien dirige son jeune chef, suprématie de l’expérience sur le grade.

Cela me renvoie au film de Shoendoerffer, « la 317° section » dans lequel Bruno Cremer, adjudant ayant vécu la campagne de Russie en tant que « malgré-nous », seconde, dans la jungle de Dien Bien Phu, Jacques Perrin, incarnant un lieutenant tout juste sorti de St Cyr.

Ce parrainage, dans des organisations très hiérarchiques, est manifestement la reconnaissance de l’expérience, en dépit du plafond de verre séparant des statuts aussi discriminants. Les similitudes entre les deux mondes sont troublantes. D’ailleurs, chez les sous offs comme chez les infirmières, le grade le plus élevé n’est- il pas identique, celui de « major » ?

Et comment ne pas penser, aujourd’hui, à « Hippocrate », ce film très juste, visionné il y a quelques semaines à la télé, où un jeune interne, qui est en permanence « materné » par ses infirmières, ne saura supporter les conflits nés d’un dilemme très actuel : jusqu’à quand faut-il- réanimer ?

On s’est éloigné du trocart, Mieux vaut l’oublier, car la tentative de ponction a échoué : il n’est pas possible de la réussir « à l’ancienne », sans le matériel d’imagerie adéquat. Ça sera dans un autre établissement, mais pas avant une semaine, il faut d’abord faire tomber la fièvre, et trouver un lit disponible, on est en août !

Agnès commencera les allers retours entre Suze et Nyons, et, malgré son inquiétude fera la liaison avec l’entourage. Elle interviendra même auprès du PDG de la filiale française dont je suis salarié, délice des organisations matricielles, afin que mon patron japonais cesse de me harceler.

Il semble qu’avec moi, il soit le seul inconscient de mon état, et ne comprend pas que le personnel d’une de nos usines françaises soit maintenant en vacances, bien que le plan de production n’ait pas été accompli avant la fermeture estivale. Il veut des explications.

Je lui proposerai bien d’aller négocier avec la CGT, il comprendrait ce qu’est une barrière culturelle. Dûment chapitré, cependant, il finira par me foutre la paix.

On percevra peut- être chez moi un poil de ressentiment envers les japonais.

J’ai longtemps pensé que j’ai été contaminé lors de ce huis clos avec mes trois collègues arrivant de Chine. Le SRAS ? Nous sommes deux ans après l’épidémie, ça n’est pas exclu, le virus aurait déclenché l’infection.

Ou bien la maladie du Légionnaire due à la clim ? (Rien à voir avec Kurt, si vous voulez en savoir plus, consultez Wikipedia, je ne vais pas tout vous mâcher).

On ne connaitra pas la cause de l’infection, le traitement massif par les antibiotiques rendant les analyses vaines.

Et la fièvre, ne disparaitra que très lentement. Tous les matins, je suis tellement trempé qu’il faut changer draps, oreillers et cette coquine camisole d’hôpital, de celles qui s’enfilent par devant, sans boutons, et vous obligent, dans les couloirs, à marcher en crabe en rasant les murs, sous peine d’exposer votre postérieur à la curiosité ambiante.

Mais, pour l’instant, pas question de trainer dans les couloirs, j’en suis incapable. Et j’ai perdu 4 kg.

Valenciennes ne peut me recevoir, Douai et Liile idem, les hôpitaux sont en régime de congés. L’ami Lionel, prof de médecine, devra user de son influence pour dégotter une place à Lens. Pourquoi pas ? Vu le passé minier, avec la silicose, Lens, les poumons, ils connaissent.

Et après avoir dûment remercié Kurt, le médecin et tout le personnel, qui a effectivement été, pendant cette semaine, aux petits soins, je me vois embarqué sur une civière, accompagné en ambulance par un infirmier d’Europe Assistance. Très pro, il ne se contentera pas de vérifier sur dossier mes paramètres cliniques, il s’assurera que tension, rythme cardiaque, taux d’oxygène sont corrects avant de me prendre en charge, puis les vérifiera toutes les heures.

Voyage pas désagréable finalement, j’ai de la lecture, et la conversation de l’infirmier, qui assure des missions d’assistance pour changer de la routine, est intéressante. Au bout de la route, l’hôpital de Lens, ce n’est pas la clinique de Nyons, c’est une vraie ville..

La patronne du service m’accueille en personne, Lionel est vraiment très respecté. Elle m’explique ce qui va m’arriver ; ponction, antibios.

Et là je vais faire plus court : branché sur une pompe qui aspire le liquide pleural et  injecte une solution ad hoc, je n’ai plus qu’à attendre la résorption

Mon compagnon de chambrée est un malheureux sous assistance respiratoire, dont la machine fait un boucan d’enfer, et qui regarde en permanence à la télé des niaiseries, son au maxi. C’est vite insupportable.

Ma demande de chambre individuelle surprend, ici on n’est pas en clinique, mais dès le deuxième jour, on me fait une fleur et on déménage le lit de mon voisin, et lui avec….

Je l’entends réclamer, sous son masque, « Ma télé, ma télé ! » Je me sens coupable, je n’avais pas imaginé ce scénario. Je m’en inquiète et il récupèrera vite sa télé.

Les jours s’écouleront lentement, rythmés par les bons moments, les visites d’Agnès, le petit déjeuner, délicieuse régression avec chocolat et tartines de confiture et les moins bons : soirées interminables et longues nuits sans sommeil.

Et, curiosité des hôpitaux du nord, en guise de goûter, un potage de légumes. On s’y fait et, au bout de quelques jours, on l’attend…

Tout le personnel sera formidable de gentillesse et d’efficacité, du médecin à l’aide-soignante, de l’infirmière à la jeune femme qui vient, tous les jours, désinfecter l’ensemble du mobilier. Une exception : les brancardiers, qui déplacent les malades, sur leur lit, d’un service à l’autre.

On me dira : il ne faut pas stigmatiser, ils ont des excuses, c’est un boulot physique, ils sont mal payés et surchargés… Peut-être, mais moi je n’ai vu que des râleurs, se plaignant d’être surmenés au cours de longues conversations de couloir.

Il faut dire qu’il y en a un qui m’a laissé devant la porte du service de radiologie, dans un sous sol froid, sans explication, avec juste une légère couverture. Pause repas ?  J’y resterai plus d’une heure, gelé, source sans doute de mon ressentiment.

D’un autre côté, être de mauvaise humeur, c’est bon signe  !

Et ça s’améliorera doucement: deux semaines plus tard on me laissera sortir avec seulement une légère diminution de ma capacité respiratoire, un mois d’arrêt et des séances de kiné. Pour ça, je suis en de bonnes mains.

La prochaine fois, j’arrête de parler de moi, mais, pour terminer, en témoignage de reconnaissance pour les soignants, d’hier et d’aujourd’hui, et même pour les brancardiers, ces quelques vers de Barbara :

Dans le couloir,
Il y a des anges
En sandales
Et en blouses blanches
Qui portent, accroché
Sur leur cœur,
La douceur de leur prénom.

Pour ceux qui aiment la longue dame brune, je peux fournir les paroles complètes de la chanson « Le couloir  »

A bientôt, et restez au chaud..

 

Suze la Rousse.  Lundi 27  avril.

J’ai longtemps hésité à intégrer dans ces publications une chronique sur les cons : la tâche est immense…

Et comme le dit mon camarade Philippe, on est toujours le con de quelqu’un. Ç’est risqué..

Et puis mon addiction aux chaines d’infos, qui en fournissent abondamment la matière par la variété des cons qui s’y épanouissent, m’a incité à en tenter un recensement.

Je le soumets à la lecture critique de ceux qui ont l’indulgence de me suivre, et sollicite même leur contribution, afin d’enrichir cette modeste tentative d’encyclopédie de la connerie.

Et, pour commencer, hors concours :

Le con primé : Donald Trump, bien sûr, qui à lui seul nourrit les colonnes de la presse internationale. Plus de 16 500 mensonges et contre- vérités énoncées depuis son accession au pouvoir, et on ne compte plus les stupidités. La dernière : pour lutter contre le virus, il suggère une pulvérisation de désinfectant ménager dans les bronches, ce qui a contraint le corps médical et les fabricants desdits produits à publier de vigoureux avertissements pour décourager les amateurs d’auto-médication.

A ce compte- là, pour la prochaine épidémie de gastro, il nous prescrira un lavement au Canard WC..

Je sais, ça commence fort, mais le personnage le mérite…

Le con testé : Jair Bolsonaro, dans le déni absolu, qui continue à serrer des pognes et à prendre des bains de foule, alors qu’au Brésil, on creuse des fosses communes, et que ses ministres, Santé et Justice en tête, quittent le navire gouvernemental.

Les cons disciples : les évangéliques, qui par leur frénésie de contacts rapprochés, leurs communions bécoteuses et leurs séminaires prosélytes ont propagé le virus plus vite que la Bonne Parole, à Mulhouse, ou dans les territoires Navajos.

Et, allez savoir pourquoi, ils sont les plus fidèles supporters, au Brésil comme aux Etats unis, des sus visés, qu’ils ont grandement contribué à amener au pouvoir.

Le con sentant : Ramzan Kadyrov, dictateur tchétchène, qui tient le pays sous sa botte, et règne par la terreur avec le soutien de Vladimir, depuis 15 ans.

Pour vaincre le virus, son truc à lui, c’est l’ingestion d’une décoction de citron, de miel et d’ail. Avec ça, il doit avoir l’haleine fraiche.

Le con plexe : le Professeur Raoult, dont le monde médical reconnait le brio scientifique, mais qui s’épanche à longueur de touiteur et de fessebouc pour faire la promotion de traitements miracles, de méthodologies douteuses et de pronostics hardis,

Et comme il s’estime génial, il montre combien il méprise le vulgum pecus en dynamitant les codes comportementaux et vestimentaires de sa profession: regardez comme je suis grand; j’emmerde les bien- pensant!

Sur ce plan, il me fait penser à Cédric Villani.

Et vous auriez envie, vous, de vous faire soigner par un toubib aux cheveux crassouilles ?

Le con sultant: trop souvent, il sait tout, mais n’y connait rien.

Tel Alain Bauer, ancien Grand Maitre du « Grand Orient de France », ancien conseiller  de Chevènement, Sarkozy et Valls, la belle palette !

Criminologue, expert ès Gilets Jaunes, spécialiste de gestion de crises et devenu aujourd’hui l’expert ès Covid 19 qui déclara, au cours de l’émission « C dans l’air » où il a table mise:  » Dans les pandémies virales, comme celle de l’Anthrax… », ce qui provoqua la réaction exaspérée du virologue présent, le Professeur Chauvin, qui fut obligé de corriger: « l’Anthrax n’est pas un virus, mais une bactérie ».

Le con plotiste: L’hurluberlu, dont j’ai eu la flemme de vérifier l’identité , oui, je sais, ce n’est pas bien, il faut toujours garantir ses sources. L’abruti donc, qui professe, Urbi e Orbi, que le virus est une création humaine, mise au point dans un labo militaire chinois, pour détruire les ennemis de l’Empire du Milieu.

Le con pensateur : Pour une fois, l’espèce est représentée par une femme, Christiane Lambert, patronne de la FNSEA : en cas de sécheresse, elle réclame des compensations, s’il pleut trop, itou.

Le cours du soja monte, il faut compenser, la grande distribution écrase les prix : compensons, compensons, vous dis-je !

Et elle vient de pondre une perle : « les français se remettent à aimer leurs agriculteurs » ! Si elle parle du producteur de légumes bio, du viticulteur qui peaufine amoureusement ses cuvées, de l’éleveur de chèvres qui moule ses picodons à la louchette, c’est sûr.

Mais ce sont surtout les grands céréaliers, les partisans de l’agriculture intensive, les badigeonneurs de pesticides, les bénéficiaires de la PAC qu’elle défend à longueur d’année.

Et eux, on les apprécie moins.

Le con pulsif : Celui là a une idée fixe : tacler le gouvernement.

Prototype : Eric Ciotti, le roquet varois. Sa dernière trouvaille : vouloir démontrer que si des émeutes éclatent actuellement dans les quartiers « difficiles », c’est parce que l’on a libéré des condamnés en fin de peine. Il oublie qu’il y a plutôt moins d’incidents que d’habitude, que, de toutes façons, les « libérables » seraient sortis dans un mois, et que la désaturation des prisons a manifestement calmé les détenus.

Avec son allure à la Mussolini, il veut nous faire comprendre qu’il va, un jour où l’autre, rejoindre Mariani au Front National. Ce n’était pas nécessaire, on le savait depuis longtemps.

Le con sternant : lui, on l’a beaucoup aimé quand il s’épanouissait, aux petites heures, sur France Inter.

7h45, les petites heures, mon œil ! A l’époque, on était déjà en route depuis longtemps, mais aujourd’hui, pour des retraités confinés, 7h45, c’est l’aube.

Les analyses de Jean Michel Apathie étaient pénétrantes, ses jugements équilibrés, ses colères fondées. Trente ans plus tard, sur LCI, il dit n’importe quoi : » pour le déconfinement, les enseignants devront avoir des masques FFP2, sinon, impossible .. ». Comme pour les réanimateurs, exposés en permanence à des charges virales infernales !

Apathie, ou comment contribuer à la confusion ambiante.

Le con tempteur : Jean Paul Hamon, Président de la Fédération des médecins de France,  activiste et défenseur virulent, si j’ose dire, de la médecine libérale: Il affirme, lors d’un débat sur la réforme nécessaire de notre système de santé : « il faudra que l’hôpital arrête de piquer les malades aux médecins de ville ». Entendre ça sans tomber de sa chaise nécessite une assiette digne d’un écuyer du Cadre Noir.

En voilà un qui a bien vite oublié qu’avant de plaindre les médecins de ville, mal payés c’est vrai, il faudrait d’abord pouvoir les consulter.

Les déserts médicaux résultent, certes, d’une politique aveugle de réduction des dépenses de santé, mais surtout des tares de la médecine libérale : numerus clausus, outil d’un paupérisme corporatiste acharné, et liberté totale d’installation.

Les médecins sont héliotropes, comme les retraités (suivez mon regard). C’est peut-être pour ça qu’ils sont concentrés chez le compulsif décrit plus haut, et pas installés là où on a besoin d’eux.

Le con burant : Par définition, ce qui est nécessaire à l’inflammation d’un combustible. On trouvera dans cette catégorie les faiseurs de « buzz », les amateurs de petites phrases, les butineurs de piques acérées.

Elle ne nous y avait pas habitués, mais Patricia Loison, présentatrice du « Soir 3 », s’est laissé récemment tenter : lors d’un entretien avec un expert virologue, pondéré, pédagogue, mettant les difficultés et les lacunes en perspective, et qui se gardait de mettre en cause les autorités, elle finit par lâcher, frustrée : « mais les masques, il y a polémique, quand même ! »

Le con vivial :  autrichien, mais aussi allemand, ou hollandais, s’il va aux sports d’hiver à Ischgl, petite station autrichienne, ce n’est pas pour la neige, mais pour le sexe et les alcools forts.

Dans cet « Ibiza des Alpes », au Kizloch, bar réputé, le sport favori est le beer- pong dont les règles sont d’une simplicité biblique et d’une connerie abyssale :

« Le Beer Pong oppose deux équipes de deux joueurs. Chaque équipe dispose 10 verres en forme de pyramide devant elle. Le but est de lancer des balles de ping-pong dans les verres de l’équipe adverse. Lorsqu’un joueur marque dans un verre, l’équipe adverse doit l’enlever et le boire. Pour gagner, il suffit qu’un joueur marque dans le dernier verre de l’équipe adverse. Chaque partie doit se dérouler de manière gentleman et fair-play »

On ne s’étonnera pas que Ischgl fut le point zéro de nombreuses contaminations en Europe du Nord.

Au passage, ça n’a sans doute rien à voir, mais Autriche, Allemagne et Pays bas sont les plus farouches adversaires d’une mutualisation des dettes, et les fossoyeurs de ce que pourrait être une Europe solidaire.

Le con servateur :  Boris Johnson, militant du Brexit, adversaire déterminé des dépenses sociales, vilipendeur du système de santé, opposé à l’immigration intra européenne, et qui, contaminé, a failli y laisser sa peau.

Il doit peut- être la vie à ces médecins immigrés à qui, il y a encore un mois, il voulait faire retraverser le Channel.

Et, par association d’idées, n’avez-vous pas, comme moi, été surpris de voir tous ces médecins africains qui font tourner nos hôpitaux, ces 5 à 6000 « Padhue » Praticiens à diplôme hors Union Européenne » ?

Ils sont exploités, leurs gardes durent deux fois plus longtemps que celles des nationaux, mais assument les même responsabilités. Et ils sont sous-payés, avec des salaires n’atteignant pas la moitié de ceux de leurs confrères.

Encore un effet du numerus clausus : on a cassé des générations d’étudiants, asséché les hôpitaux, mais on compense, grâce à des comportements esclavagistes..

Les con jurés : ils poussent, ils poussent, tous ensemble, pour abattre la citadelle honnie : les 35 heures : Bruno Retailleau, pilier de L.R. supporter N°1 de Fillon, qui n’a toujours pas compris pourquoi il avait perdu, Geoffroy Roux de Baizieux, patron du MEDEF et ancien commando Marine, qui lui, au moins, sait quand il faut battre en retraite, et Agnès Pannier- Runacher, la brillante « business woman », Secrétaire d’Etat à l’Economie.

Même si, à titre personnel, j’ai eu beaucoup de réserves sur la mise en œuvre des 35 heures, sur leur inefficacité pour le partage du travail, et sur leur profonde inéquité, (je suis prêt à argumenter), c’était il y a vingt ans.

Aujourd’hui, c’est ancré dans les mœurs, et il me parait d’une stupidité crasse d’en faire un enjeu politique, en demandant aux actifs de travailler plus, quand un tel sentiment d’inégalité imprègne la société, et où tant de français craignent pour leur boulot.

Et, déjà,  il nous faudra nous quitter, mais sur une espèce plus délurée :

Le con génital : celui-là, on l’a un peu oublié pendant le confinement, il doit être le seul à s’en réjouir : Benjamin Griveaux, porte-parole du Gouvernement de la République, qui a trouvé judicieux, face à l’objectif de son smartphone, de se manipuler les génitoires et l’appendice connexe, et de diffuser le tout.

Dans le but, on le suppute, de stimuler, en une entreprise de séduction ahurissante, les désirs de la jeune convoitée.

Il ignorait, on l’espère, qu’elle était la maitresse d’un allumé post soviétique, probablement téléguidé par le FSB.

 

Des cons, j’en ai forcément oublié, n’hésitez pas à compléter ma collection, et, pour finir, méditez cette pensée profonde de quelqu’un qui m’est cher : les cons, il en nait tous les ans, le problème, c’est que ceux de l’an prochain sont déjà arrivés…

A bientôt, et restez au chaud

 

Suze la Rousse.  Samedi 02 mai.

 

D’abord, un grand merci pour vos suggestions très con-structives.

A ma grande surprise, je reçois plus de commentaires quand mes chroniques ont une légère connotation érotique, que lorsque je les consacre aux merveilles pré colombiennes.

Pourtant, ceux qui me font l’amitié de les suivre, et qui appartiennent, pour la plupart, à ce que les gens de marketing qualifieraient d’un « segment générationnel », m’auraient semblé plus enclins à considérer ce sujet comme appartenant à la catégorie « nostalgies », qu’à celle qu’on aborde dès que les enfants sont couchés….

Comme quoi, même pendant les confinements, tous les espoirs sont permis.

Angoisse ; faut-il perdre sa pureté rédactionnelle et donner au peuple ce qu’il réclame ?

Ou faut-il refuser d’en rabattre sur les principes, et maintenir ces chroniques au niveau élevé d’exigence intellectuelle que je me suis efforcé de promouvoir depuis les origines, malgré les attaques répétées de certains ?  (Je ne citerai pas de noms, ils se reconnaitront)

Je n’en dors plus.

Alors je m’en sortirai par un stratagème, pour ne pas trancher ; un titre racoleur, pour attirer la pratique, une amorce caleçonnesque pour ferrer, et ensuite, on laisse filer, en slalomant, si on y arrive, entre les sujets qui fâchent.

Pour commencer, je vous dois des comptes, au sujet de Benjamin Grivois : pourquoi cette expression : « les génitoires et l’instrument connexe » ? J’ai, en effet, eu des remarques.

Vu le qualificatif « congénital » que j’avais choisi, « génitoires », étymologiquement, s’imposait. J’ignorais alors, le Larousse me l’a appris depuis, qu’il s’agissait d’un terme argotique, je le pensais d’origine médiévo-médicale.

Mais bon, l’argot, ça m’allait aussi.

Quant à l’organe viril, comment le localiser ? « Tangentiel », ou « adjacent » auraient été, par rapport aux susdites, géométriquement inattaquables et anatomiquement adaptés, mais ça sentait un peu trop sa prépa scientifique. On n’écrit pas pour les « Techniques de l’ingénieur », quand même….

« Annexe » était une autre option, mais, qualifier ainsi ce qui fait la fierté du mâle occidental, ce sur quoi il a assis sa domination (c’est une image, si vous essayez de mettre en pratique, attention, ça peut être douloureux !),  annexe, ça vous a une petite connotation péjorative.

Ne restait plus que « connexe »

Et pour nommer l’objet, quoi de mieux que le vocabulaire musical ? Comme chez les virtuoses qui parviennent à obtenir de leur violon des sonorités bouleversantes, le terme « archet » aurait convenu, mais c’était un peu trop démonstratif.

Par ailleurs, pour ce qu’il en est des virtuoses, discutable, si l’on en croit Georges Brassens : 95 fois sur 100, la femme…Je vous passe la suite.

On a donc préféré banaliser et retenir le terme  » instrument »…

Pas d’autres questions ? Alors, fin de la caleçonnerie, retour au sujet du moment.

Laissons de côté, s’il vous plait, les débats sur les cons : on aura remarqué que j’avais pris soin de n’épingler que les commentateurs, les radoteurs, et, parmi les dirigeants, une sélection des plus croquignolets, bien loin de chez nous.

Ici, la sous- estimation initiale du danger, les contradictions intra gouvernementales, les informations erratiques sur les masques et les tests, le changement de la Ministre de la Santé au milieu du gué, les retards dans les prises de décisions, les erreurs de com, tout ça avec un style présidentiel agaçant et un fond idéologique à géométrie variable, posent légitimement question.

Mais pour les masques, les placards étaient vides quand ils sont arrivés aux manettes et pour leur production, comme pour les tests, il y a bien longtemps que tout a été délocalisé en Asie. Pour leur distribution, les lourdeurs logistiques, résultant de notre système jacobin, ne sont pas nées avec le macronisme. Dommage, par contre, que nos dirigeants n’aient pas parlé franc dès le début, ils y auraient gagné en crédibilité.

Cependant, je trouve que ça tire beaucoup sur l’exécutif pendant une crise sanitaire et économique d’une ampleur et d’une gravité exceptionnelle, et qu’ils ont bien d’autres choses à faire que de devoir en permanence se justifier devant la représentation nationale.

Si le besoin de revanche des oppositions n’est pas surprenant après le cataclysme politique de 2017, certains diraient même de bonne guerre, je n’avais pas remarqué qu’elles avaient fait mieux en matière de politique de santé quand elles étaient au pouvoir.

Et elles ne se sont pas couvertes de gloire dans l’épisode des municipales : je revois Christian Jacob, à l’idée de repousser le 1° tour, hurler au coup d’état dans les couloirs de l’assemblée. Il est plus discret, aujourd’hui qu’on en connait l’impact sur la dissémination.

D’ailleurs, il suffit de remarquer qu’il y en a deux autres qui font profil bas et que l’on n’entend plus depuis trois mois : Sarkozy et Hollande. Pas parce qu’ils sont confinés, mais parce qu’ils n’ont pas de meilleur plan à vendre. C’est sûrement la 1° fois qu’ils ne regrettent pas de ne plus être en responsabilité !

Vous n’êtes naturellement pas obligés d’être de mon avis, tout ça, c’est juste pour causer…

Dans ces circonstances, Nico et François doivent avoir le temps de lire.

A ce propos, merci à  Jeannette et Christine, qui nous ont opportunément rapporté ce qu’écrivait Madame de Sévigné à sa fille Pauline de Grignan :

« Surtout, ma chère enfant, ne venez point à Paris !
Plus personne ne sort de peur de voir ce fléau s’abattre sur nous, il se propage comme un feu de bois sec. Le roi et Mazarin nous confinent tous chez nous. Cela m’attriste, je me réjouissais d’aller assister aux prochaines représentations d’une pièce de Corneille dont on dit le plus grand bien.
Nous nous ennuyons un peu et je ne peux plus vous narrer les dernières intrigues à la Cour, ni les dernières tenues à la mode.
Heureusement avec ma chère amie, Marie-Madeleine de Lafayette, nous nous voyons discrètement, et nous nous régalons des Fables de La Fontaine, dont celle, très à propos, « Les animaux malades de la peste » !
« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » ».

Je vous envoie deux drôles de masques ; c’est la grand’mode. tout le monde en porte à Versailles. C’est un joli air de propreté, qui empêche de se contaminer,

Grignan, à moins de 20km d’ici, où c’est toujours la routine :

Agnès a franchi le cap des 250 masques et va pouvoir passer le relais à l’industrie textile, il était temps, elle y a sacrifié 5 protège matelas. Admirez le choix des motifs.

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Et le modèle « Gendarmerie Nationale », plus sobre:

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Mais tout ce travail valait la peine, ses efforts ont été reconnus dans le monde entier, merci pour ça à François.

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Entre temps, la centrale à béton a réouvert. 3 toupies, et la dalle était coulée.

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Deux semaines de prise et on peut se déplacer dessus pour nettoyer au karscher les murs du hangar, avant peinture.

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Comme j’ai, pour cette opération une belle combinaison intégrale verte, Agnès, espiègle, m’a inscrit au casting pour la pub Cetelem.

Quoi d’autre? Ah, oui, nous avons préparé des falafels.

Avec difficulté: notre mixer n’est pas très adapté, la pâte se colle aux parois, et la lame brasse de l’air. Pour s’en sortir, une seule solution, allonger avec de l’huile et de l’ eau.

Mais alors, impossible de former des boulettes. On se contentera de frire des genres de pancakes. Si, quand on les retourne, on a le geste vif et la main sûre, c’est présentable. Mais si la main tremble, ce qu’on obtient ressemble au fruit des amours coupables d’un falafel et d’une galette bretonne, après un accident..

Entre temps, on regarde pousser les salades et les Charlottes, on tiendra jusqu’à l’hiver.

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Avant de se quitter,  pourquoi « Le journal du Hard « ? Parce-que, aujourd’hui, Hélas, il A Rien à Dire…

Restez au chaud et à bientôt.

Suze la Rousse.  Dimanche 31 mai.

De l’autre côté de la frontière, il y a la Belgique.

Et cette frontière, je la franchirai chaque jour, pendant 7 ans.

Et oui, je vais reparler de moi !

J’ai hésité longtemps, ma dernière chronique, quatre semaines déjà, n’ayant manifestement pas soulevé l’enthousiasme. Est-ce parce que j’y défendais l’exécutif ? Le péché est pourtant véniel, mais le sujet si sensible qu’il vaut mieux, maintenant, se cantonner à une réserve prudente et laisser le débat politique aux commentateurs professionnels.

Avec toutefois une dernière remarque, je m’en voudrai de ne pas la faire :

Les français détestent leurs élites, et plus particulièrement leurs dirigeants. Ils se font même gloire d’en raccourcir un de temps en temps.

Est-ce parce qu’ils ont le sentiment d’être cocus quand leurs actes divergent trop des promesses de campagne ?

La France de gauche a élu Hollande en 2012, a eu Guy Mollet et n’a pas attendu 5 ans pour le larguer, le pauvret, qui n’a même pas pu se représenter.

La France du milieu a élu Macron en 2017, et a eu Juppé. Il se retrouve en 2 ans à 30% de popularité et ne sait plus sur qui s’appuyer. Il en est à cajoler le professeur Raoult, à flirter avec Philippe de Villiers, à prendre des nouvelles d’Eric Zemmour et à s’enquérir des états d’âme bistrotiers de Jean Marie Bigard.

Son électorat s’interroge..

Par contre, si la France de droite a élu Sarkozy en 2007, elle a bien eu Sarkozy, ce qui ne l’a pas empêchée de le lâcher en 2012 et de l’éliminer en 2017.

Nous avons manifestement un double problème, institutionnel bien sûr avec la non-représentativité de nos élites, mais aussi culturel avec, par le dénigrement et la contestation systématique des décisions prises par ceux que nous avons élus, une incapacité évidente à accepter d’être dirigés.

La preuve : le mouvement des gilets jaunes, qui exprimait la rage compréhensible des laissés pour compte, un peu attisée quand même par les extrêmes, a avorté, tant ses partisans mettaient de persévérance à éliminer chaque leader potentiel, se privant de toute capacité de négociation, de toute force politique, faute de représentant légitimé.

Aujourd’hui, on en est même à faire des procès au président, aux ministres, procédures qui ne mèneront à rien, sauf à engorger encore plus le système judiciaire, et engraisser les avocats qui mènent le bal.

Et pendant ce temps, Boris Johnson, aussi menteur que Trump et pas moins filou, est au sommet de sa popularité, Conte, en Italie, s’est taillé une stature d’homme d’état, la 1° ministre belge est appréciée de tous et même Angela Merkel, qui, jusqu’à la semaine dernière, était le chantre du conservatisme béat, n’a jamais été aussi haut dans les sondages.

Il y a des jours, c’est dur d’être français…

C’est pour ça que, au fond, passer la frontière tous les jours, même au prix de 250km quotidiens (bonjour l’empreinte carbone !), ça rafraichit.

Parce- que, de l’autre côté, il y a les belges.

Et les belges, c’est comme des français, mais en bien mieux : ils peuvent se passer de gouvernement pendant plus d’un an, sans s’émouvoir !

La Belgique est le pays, où quand une fille vous fait la bise, elle n’en fait qu’une.

Et vous, la joue dans le vent, vous êtes comme un con, à attendre la suite, puisqu’en France, on ne s’en tient pas là.

Elles ont raison : quatre bises, à quoi ça sert ? A part propager les virus…Et elles sont si chaleureuses qu’une suffit !

Un belge, ça vous tutoie en 5 minutes, ça vous paie une pinte au bout de dix, et ça vous pardonne d’être français au bout de 15.

Ça peut vous faire chanter en canon 100 inconnus, debout sur une table, après quelques bières, quand même.

Ça ignore la distance hiérarchique, ça ne craint pas de poser des questions qui fâchent à ses dirigeants et ça goûte peu la langue de bois.

Ça ne décapite pas ses monarques, ça les regarde d’un air affectueux, amusé même, quand ils sèment des enfants illégitimes aux quatre coins du royaume.

Ça admet l’autorité, ça aime son gouvernement, quand il y en a un, et ça se vante d’avoir, vu le système fédéral, plus de ministres des sports que de médaillés aux jeux olympiques.

 

 

Ça vous compose  » Dans le port d’Amsterdam », émotion pure sur lamento d’accordéon, ça vous invente la B.D., et ça vous écrit plus de 100 romans d’atmosphère, où le commissaire Maigret promène son regard  compréhensif sur les turpitudes et les faiblesses de ses semblables.

Et je ne parlerai pas des primitifs flamands, limitons nous au contemporain.

Il faut bien toute cette créativité, cette fraicheur chaleureuse, cet optimisme, cette foi en l’avenir pour supporter ce qui gangrène la Belgique : l’antagonisme historique entre les régions néerlandophone et francophone, dans un pays qu’on traverse en deux heures..

Je ne chercherai pas à en analyser les causes, d’autres, plus compétents, l’on fait, et la conclusion la mieux partagée s’exprime sobrement : « si vous avez compris quelque chose à la Belgique, c’est qu’on vous l’a mal expliquée… »

Un simple constat : ici, tout est passé au filtre de cet antagonisme, le moindre fait divers donne lieu à des analyses comparatives entre les « performances » de chaque communauté, que ce soit le taux de délinquance, les excès de vitesse, les violences conjugales ou la consommation de bière.

Antagonisme qui mène à des absurdités pures : pour éviter le grignotage des communes néerlandophones périphériques de Bruxelles, région Capitale, par les francophones, il est interdit, dans les services publics, d’y parler le français, même si les fonctionnaires le pratiquent couramment !

La majorité en souffre, les minorités militantes, en particulier flamandes,  cultivent cette opposition, entretiennent le brasier en commémorant les batailles où la piétaille flamande, ne comprenant pas les ordres de ses officiers, s’est faite tailler en pièces. Elles luttent pour, un jour, faire exploser le pays.

Et pour faire bon poids, non seulement les belges francophones les insupportent, mais les français aussi.

Pour en témoigner une anecdote, longuette, mais illustrative :

Dans la fin des années 80, je suis chargé de coordonner pour l’Europe les politiques environnementales de l’entreprise américaine qui m’emploie. A ce titre, je dois organiser la tournée des usines que vient effectuer Adrienne, ingénieur US et experte en technologies de traitement des émissions atmosphériques.

Et ça comprend aussi les activités touristiques du weekend, on ne va quand même pas la laisser seule dans sa chambre d’hôtel ! Valenciennes, le dimanche, y a mieux.

On décide donc une virée sur la côte belge, avant de la ramener à Zaventem où elle prendra un vol pour Dusseldorf, elle est attendue lundi à notre usine de Wuppertal.

Première étape à Bruges, comptoir hanséatique et bijou architectural. La ballade sur les canaux s’impose, d’autant qu’Adrienne, la cinquantaine assumée, surcharge pondérale bien établie, se déplace avec un léger dandinement qui condamne les longues promenades.

Déjeuner à Ostende où nous dégustons, sur les quais, dans le parfum iodé des embruns, l’extraordinaire assortiment de produits de la mer, rollmops en marinade, anguilles fumées, moules au vinaigre, pinces de crabe mayonnaise et une variété d’autres préparations au goût si marqué qu’il ne peut se concevoir sans le soutien d’un blanc sec, bien pierreux, ou d’une bière locale, bien houblonnée.

En parler me fait saliver, et me rappelle, ému, le waterzoï de poulet, et sa duxelle de petits légumes, le potjevleesh de viandes blanches à la gelée délicieusement parfumée au genièvre, la carbonnade de joue de bœuf, fondante, où l’amertume de la bière est équilibrée par l’aigre doux du vinaigre de framboise, et les frites, dorées, croustillantes et moelleuses à coeur, trésor national, frites au blanc de bœuf, bien sûr..

Adrienne, qui n’a pas été élevée qu’au coca-cola, apprécie le déjeuner, et l’heure du départ arrive trop vite.

Mais la voiture, garée au pied de la capitainerie, refuse de démarrer…

J’ai beau titiller la télécommande, rien n’y fait. La pile doit être naze

On rassure Adrienne, on va régler ça très vite. Je trouve un bazar susceptible de vendre des piles, mais ils n’ont plus le bon modèle. Curieusement, un jeune français, derrière moi, sa télécommande à la main, est dans la même situation. Je me fais indiquer un autre point de vente et m’y précipite. Il est hors de question de me faire griller sur le fil, au cas où ce second magasin ne détiendrait plus qu’une pile !

Retour vainqueur, je rassure à nouveau Adrienne, et… ça ne démarre toujours pas.

Seule solution, il faut appeler l’assistance. Mais, rappelons-le, dans les années 80, les téléphones portables n’existaient pas, l’internet n’était pas encore inventé, l’Euro n’était même pas un concept. La préhistoire quoi !

Et bien sûr, je n’ai pas le N°. Il faut donc trouver une cabine téléphonique, avec de la monnaie qui va bien, appeler des amis, qui, par chance en ce dimanche ne sont pas de sortie, Nadine s’en souvient encore, leur laisser le temps de chercher, les rappeler, contacter enfin l’assistance, puis attendre la suite.

Le temps a filé, Adrienne a raté son avion, mais elle a bon caractère et, semble-t-il, confiance en moi pour trouver la solution. Heureusement, la gare est à 500m, on s’y dandine gentiment en trainant la valise à roulettes sur les pavés, pendant qu’Agnès guette le dépanneur.

Coup de bol, un train pour Liège, avec correspondance pour Dusseldorf, part dans la minute. Je presse Adrienne, un peu perdue, la guide vers le train, grimpe avec elle, l’installe dans la 1° voiture. J’entends un coup de sifflet, il faut y aller. Je lui fais la bise en lui assurant que tout va bien se passer, et lui souhaite un bon voyage..

Le train commence à bouger, j’appuie sur le contacteur d’ouverture des portes. Rien ne se passe !

Ça se gâte,, je traverse le wagon en courant pour gagner les portes suivantes, sous le regard surpris des voyageurs, et d’Adrienne, (au passage, ici, on dit ouagon..). J’appuie un peu plus frénétiquement sur le contacteur.

Toujours rien, et le train prend de la vitesse.

Panique ! Agnès ne parle pas flamand, n’a pas de francs belges, pas de téléphone, pas de voiture. Aller jusqu’à Liège et la laisser seule ? Impossible !

Seule solution : je percute le signal d’alarme, et m’accroche. Sifflement brutal de l’air comprimé, hurlement des freins, bagages qui valdinguent, et les portes s’ouvrent enfin, dans un chuintement qui couvre les protestations…

Je saute sur le quai, bat mon record personnel du 100m, et me planque derrière la cabine téléphonique où Agnès m’attend. Il lui faudra un peu de temps pour comprendre pourquoi j’ai les yeux hors de la tête et le souffle court.

On quitte bien vite la gare, discret, gagne une terrasse de bistrot, et attendons le camion de dépannage.

Surprise, c’est une toute petite voiture jaune. Le mécano récupère mes clefs, ouvre la voiture, se penche sous le tableau de bord, appuie sur la télécommande, et le système se déverrouille !

« Vous êtes garés près de la capitainerie, et les émetteurs sont si puissants qu’ils brouillent les télécommandes, il faut se rapprocher du récepteur du véhicule »…

Les type, au bazar, le savaient, tout Ostende le sait !

Mais on laisse ces couillons de français chercher des piles, courir à droite, à gauche, se cailler le sang, appeler les dépanneurs.

Ça distrait, il n’y a pas grand-chose à faire, le dimanche, Jacques Brel l’a écrit avant moi..

Et Adrienne dans tout ça ? J’aurais de ses nouvelles le lendemain. Elle a raté sa correspondance, son train étant parti en retard : un connard a tiré le signal d’alarme..

En plus, elle s’est pris une prune, étant en 1° avec un billet de seconde, n’avait que des dollars, d’où embrouilles avec le contrôleur, imperméable à l’anglais, puis est enfin arrivée, en milieu de nuit, à son hôtel de Wuppertal, où tu te rends compte ? elle n’a même pas pu avoir un sandwich. Elle s’en souviendra, de sa virée sur la côte belge…

Je crains que, depuis cette époque, et avec la montée du Vlaams Belang, l’extrême droite flamande indépendantiste, ça ne se soit pas vraiment amélioré, côté dialogue intercommunautaire.

Mais ça ne refroidit pas la joie de vivre de nos petits camarades : à Mons, on prend une semaine de congés pour le Doudou, carnaval débridé aussi chaud que celui de Dunkerque. Lorsque des séminaires professionnels se tiennent en Belgique, les « after hours » n’en finissent pas, rythmées par les tournées de bière.

Et, lors de soirées entre amis, on y tangue avec Adamo sur « les filles du bord de mer », et on y danse « les sardines » en sautant avec une belle énergie, jusqu’aux petites heures.

Ils nous manquent, nos amis belges.

Baudouin, Tata, Jean Marc, Patrick, Caro, Anne, Pierre, on est impatients de vous revoir, mettez les bières au frais, on arrive !

 

 

 

Jeannette m’ayant demandé un conte de Noël, il a bien fallu que je m’exécute.

Mais, préambule habituel, je précise qu’il n’est que le fruit de mon imagination et que, bien qu’inspiré de faits réels, du moins c’est ce qu’on dit depuis plus de 2000 ans, aucun des personnages, selon la formule consacrée, n’est le portrait de personnes existant ou ayant existé.

J’espère vivement que mes caricatures ne seront pas considérées comme étant racistes ou stigmatisantes.

La preuve :

-J’ai de très bons amis cathos

-J’ai de très bons amis musulmans

-J’ai de très bons amis juifs

Et aussi des noirs, et des gays, et des obèses, et des chétifs, et des flics, et des syndicalistes…

D’ailleurs j’aime tout le monde, c’est normal, c’est Noël.

Sauf Éric Zemmour et le Professeur Raoult.

 

CONTE DE NOEL

20 décembre 9h00   Joseph

« Volaille de merde ! « S’exclama Joseph quand il découvrit le couffin sur son paillasson.

On aura compris que sa cinéphilie était d’un genre particulier. Il n’aimait que les films de Bertrand Tavernier et encore, pas tous, ceux en costumes ! Pour faire sens, le récit devait être profondément ancré dans un contexte historique.

Il avait ainsi troqué le « Pute borgne ! » hérité de son père, piètre bricoleur, qu’enfant, il avait adopté, ravi, à l’issue d’une séance particulièrement réussie de coups de marteaux sur les doigts, contre ce juron tombé dans l’oubli, proféré par Jean Rochefort, Abbé Dubois déjanté, gambadant sur les sofas du régent Philippe d’Orleans, dans « Que la fête commence… »

Qui lui avait joué un pareil coup de Jarnac ?

La Marie Madeleine du dernier étage ? Alors, pourquoi lui ? Ce mioche devait avoir cent pères, et il s’était fait rare, ces derniers mois.

Pas faute d’envie, mais de moyens. Après les pétards, le scotch et les séances à la cinémathèque, ce qui restait de son RMI ne lui permettait plus de s’envoyer les 120 marches conduisant au 7° ciel.

Et ça perturbait son travail. Déjà que la réaction de Circé, sa directrice de thèse, avait été rien moins qu’enthousiaste à la lecture de son projet de recherche : « Des ribaudes aux courtisanes : sous les régences, par la prise en main des instruments du pouvoir, les premières étapes de la révolution féministe à travers le prisme du 7° art »

« Va falloir convaincre » avait- elle lâché, dubitative.

Joseph, qui ne l’aimait pas, pas pour ce qu’elle était mais en raison de son pouvoir sur lui, revivait l’entretien avec amertume.

Mais il ne pouvait s’empêcher d’être impressionné par son parcours, ses provocs, ses clopes, son crâne rasé, et le tatouage « mes désirs sont désordre » qui lui ourlait la base du cou, Tout ça avait de la gueule. Et il avait besoin de son soutien.

Alors il endurait son mépris à peine masqué et subissait, se sentant bien seul, ses lectures vespérales « facultatives », au milieu de son fan club de gendarmettes à la coupe légionnaire et de pompières body buildées.

Elle développait :

« En quoi les initiatives de ces travailleuses du sexe pouvaient elles être rattachées à un combat révolutionnaire ? Où étaient la conscience de classe et l’organisation de masse ? Ces femmes ont surtout contribué au maintien d’un ordre moral petit bourgeois, ce qui n’était d’ailleurs pas le moindre des paradoxes pour cette monarchie décadente ».

Et, enfonçant le clou :

« Pourquoi choisir les Régences ? quel intérêt ? Leurs orgies présentaient, certes, des petits côtés sympathiques, mais les périodes révolutionnaires auraient été bien plus intéressantes ; Olympe de Gouges, quand même ! ou la Commune et Louise Michel ! »

Il tenta d’argumenter:

« - Il y a bien eu la conspiration de Pontcallec, dans le Morbihan, il y a quand même laissé sa tête. »

Et elle, tranchante : « Une révolte fiscale ! Une affaire de bonnets rouges, tout au plus… »

On était si loin de son de domaine de prédilection : la mythologie grecque. Ça avait un autre souffle !

Riche de tempêtes, de fureurs, de passions. Un monde où Dieux et Déesses intriguaient sans cesse, copulaient gaiement, se trahissaient sans vergogne, où les alliances se faisaient et se défaisaient au gré des saisons, et, où, à leurs moments perdus, ils se distrayaient en pourrissant la vie des pauvres mortels.

Circé y cherchait, dans la représentation du monde que se faisaient les grecs anciens, non seulement les évidences du patriarcat, mais surtout, grâce aux amazones, les preuves de l’éternel combat des femmes pour leur libération.

Les nanas de « # me too » la faisaient doucement rigoler. Elles se contentaient de dénoncer les hommes qui se comportaient en porcs, alors que le seul combat légitime était celui de son fantasme secret : les transformer en pourceaux.

Aussi, le projet saugrenu de cet étudiant attardé ne rentrait pas dans le cadre.

L’encourager ? Pas question, fallait- pas trop lui en demander.

Mais, authentique libertaire, elle s’interdisait d’interdire. Pas d’autre issue que le laisser-faire, en espérant qu’il se lasse.

En attendant, ça aiderait à améliorer son image. Elle en avait bien besoin : malgré ses relations et son aura médiatique, pas un seul mâle parmi ses thésards, ça suscitait des polémiques. Pas génial quand on voulait devenir présidente d’université.

Et une fois en place, elle pourrait en faire une tête de pont pour ses combats futurs, un phalanstère de la transgression, une ZAD LGBT, en quelque sorte…

Cet entretien la lassait, d’autant qu’elle avait des soucis domestiques : la veille, elle avait retrouvé sa femme, la mignonne Sappho, alanguie dans le canapé alors que le diner n’était pas prêt.

-«J’ai regardé trois épisodes de « 10% » en replay se défendit-elle. Cette Camille Cottin, elle est a de ces yeux ! »

L’attitude de Sappho l’inquiétait. Ce soir, Circé voulait rentrer tôt, et mettre les choses au point. Libertaire à la ville, d’accord, mais au foyer, il y avait des limites !

Elle décida de couper court :

« Commencez à creuser la biblio, on verra s’il y a matière » exhala-t-elle, l’œil mi -clos, dans le nuage de fumée de sa « caporal ».

Où diable parvenait-elle encore à se procurer des Caporal ?  Question saugrenue quand votre avenir universitaire est en jeu…

Côté biblio, ça n’avançait pas fort, et, côté étude de cas, il était en difficulté : maintenant qu’il était privé de travaux pratiques, il ne progressait plus.

Et maintenant, ce môme !

Il fulminait ! Ça faisait un moment qu’il ne l’avait pas croisée, la Madeleine, et il en subodorait la raison. Elle allait l’entendre !

Et le moutard s’était mis à brailler : un vacarme d’enfer dans la résonnance de la cage d’escalier !

Empoignant le couffin, il allait s’élancer vers les premières marches quand il découvrit un feuillet, épinglé sur la brassière du marmot.

PRENDS SOIN DE LUI. JE PARS FAIRE MON ALYA. JE VAIS REJOINDRE MELCHIOR A TEL AVIV.

La salope !!!

Quant à ce qu’il pensait de son mac, Melchior, on évitera de le reproduire ici.

Et si elle espérait développer son petit commerce là- bas, vu l’influence croissante des Hassidim, elle allait avoir devoir ramer..

Que faire du môme ? Il avait besoin de réfléchir, mais était trop perturbé pour aligner deux idées.

Ses neurones fonctionneraient mieux quand il se serait procuré de quoi se calmer.

 

Chapitre II   20 décembre 10h30   Joseph

Pour la concision de ce récit, on conviendra que Joseph, ainé de 11 enfants, n’ignorait rien de la façon dont il fallait bercer, nourrir et torcher un nouveau- né.

Cela épargnera au lecteur la description du pénible apprentissage du beau métier de géniteur, et ça m’évitera d’avoir à plagier « Trois hommes et un couffin »

Il savait même confectionner une écharpe de portage, ce qu’il fit.

D’abord les urgences.

Chez Gaspard, l’arabe du coin, il devrait trouver tout le nécessaire pour le môme.

Joseph aimait bien cette boutique obscure, où les sacs de semoule, de pois chiches et de fèves, comme les bidons d’huile d’olive, s’entassaient à même le sol, où les senteurs d’épices, d’olives et de tomates séchées le disputaient aux odeurs de lessive et de produits d’entretien, et où, en fond sonore, Oum Kalthoum n’en finissait pas de pleurer la perte de Jérusalem .

Petit, le teint ivoire, visage rond et courte barbe, Gaspard, s’il avait été là, n’aurait pu renier ses origines : les oasis du M’zab, où des générations d’endogamie avaient produit ce type physique si particulier. Pur berbère, il se foutait bien qu’on l’appelât « l’arabe » : commerçant avisé, il ne contredisait jamais un client.

Mais Gaspard n’était pas là.

En sarouel et bonnet blanc, son sosie, en moins réussi, assurait l’intérim. Affligé d’un fort strabisme qui perturbait ses interlocuteurs, ne sachant quel œil fixer, il ne semblait pas en vouloir plus que ça à son créateur.

- « Gaspard ? rigola-t-il. Comme chaque année, il est parti à Beni Isguen. C’est bientôt l’Aïd, il va le passer en famille. Et comme d’habitude, inch’Allah, ils vont en mettre un en route, le septième. Mais il a le mauvais œil, il ne fait que des filles… «

Comme prévu, le sosie put fournir biberon, tétines, lait 1° âge et paquet de couches. De derrière le comptoir il tira la cartouche de blondes et la bouteille d’Islay, 20 ans d’âge, son tourbé préféré, qui aideraient Joseph à supporter les vicissitudes de cette situation imprévue.

Depuis la boutique, Joseph vérifia si le chouf, était à sa place, à l’entrée du parking.

C’était le cas, donc le point de deal était déjà ouvert.

Il se précipita au 1° sous- sol. Il fut surpris de ne pas y trouver Balthazar, mais un gros black, aux faux airs de Forest Whitaker (magistral dans le rôle de Charlie Parker, Le « Bird » de Clint Eatswood), qui trônait sur un canapé défoncé, derrière une table de camping sur laquelle était exposée la marchandise. Joseph ne l’avait jamais vu.

A peine visible dans la pénombre, un malabar, dont la gandoura dissimulait mal une kalash, assurait la sécurité de l’opération.

Si Joseph avait été plus attentif, il aurait constaté qu’elle venait du rayon jouets du supermarché du coin. Manifestement, le remplaçant de Balthazar, inspiré par le matraquage sécuritaire de Cnews, voulait jouer dans la cour des grands, mais n’en avait pas encore les moyens.

- Où est Balthazar ?

-  C’est pas ton problème, Man. Et qu’est- ce que tu fous ici avec ton nain ? Du baby sitting ?

- C’est rien, c’est ma voisine qui me l’a confié. File moi vite 4 barrettes, elle va bientôt rentrer. (on admirera la puissance des dialogues..)

- Paye et casse- toi !

Joseph s’exécuta, mais curieux, fit une halte auprès du chouf. Le gamin, qui le connaissait, ne se fit pas prier :

-« Balthazar, il est monté au bled, dans le Rif, pour visiter ses fournisseurs… »

Joseph ayant assuré la matérielle, il pouvait maintenant regagner ses pénates, Il était pressé de s’en rouler une, mais il devrait d’abord changer le môme, qui avait dû charger sa couche, ça sentait pas l’eucalyptus..

Mais, et c’était déjà ça, il s’était endormi.

Préoccupé, il ne remarqua pas l’obèse en imperméable mastic qui se précipitait vers une vieille R12, en chuchotant dans un micro dissimilé dans sa manche. Cependant, sans cou et le crâne rasé, il ne pouvait cacher l’oreillette reliée par un fil à son col de chemise.

Tout autre que Joseph aurait repéré un flic. (Pour ceux qui souhaiteraient visualiser le personnage, pensez à Jean Claude Rémoleux, qui jouait l’inspecteur Barbic, dans « La grande lessive », de Jean Pierre Mocky, celui qui chantonnait, de sa voix de fausset, « c’est les poulets.. » quand il frappait à une porte pour perquisitionner.)

Roger Leboeuf formait avec Martin Lanne la paire d’enquêteurs des stups la plus pitoyable que l’on puisse imaginer. On leur confiait la surveillance des gangs les plus minables, encore heureux s’ils ne provoquaient pas de bavures. Mais, encartés au syndicat « Alliance », on ne pouvait rien contre eux.

Martin était aussi chétif que Roger était massif, et le portrait craché de Luis Rego, en bien moins futé.

Malgré cela, c’était la tête pensante de l’équipe.

- « Un gros poisson ! » proclama Leboeuf, en s’engouffrant dans la caisse, qui prit aussitôt un air penché. « C’est sûrement une mule, tout est planqué dans le porte bébé ! Et, tiens- toi bien, ils ont trouvé un moyen pour masquer l’odeur du shit, ça sent bizarre !»

Lanne saisit le micro qui pendait au rétro.

-«  PC, pour Zebra 3, urgent !  PC pour Zebra  3 urgent ! »

Nos Starsky et Hutch de banlieue en frétillaient d’excitation.

-« Zebra 3 pour PC, qu’est ce qu’il y a , les brêles ? »

-« On tient une piste, on a repéré une mule, qu’est- ce qu’on fait, chef ? »

-«  Et bien, suivez là, espèce d’abrutis »

Nantis de ces éclairantes instructions, Lanne et Leboeuf se mirent en chasse. En route pour la gloire !

Joseph, lui, accélérait le pas, s’il ne se hâtait pas, il allait la rater.

Car, aussi désabusé et cynique qu’il fut, il regrettait de se l’avouer, il était amoureux.

 

Chapitre III 20 décembre 12h30   Marie

Jupes plissées, cardigan bleu marine, col claudine, les collégiennes de « Notre Dame de la conception » s’alignaient sur le trottoir, sous les lettres dorées proclamant fièrement l’identité de l’institution.

Marie, la mignonne surveillante qui se dirigeait vers la tête de colonne, ne comprenait pas les rires sous cape des gamines, jusqu’à ce que, levant les yeux, elle découvre ce qu’une main espiègle avait taggé, ajoutant la syllabe TRA entre les deux premières de « CONCEPTION », transformant ainsi l’institution en annexe du Planning familial.

Horrifiée, elle pressa les collégiennes pour gagner le pensionnat, à deux pas de là.

-« Dépêchez- vous, et ne regardez pas ! »

Pas besoin de chercher le coupable, encore un coup de ces affreux gauchistes qui n’avaient pas digéré que « Notre Dame » ait été un des hauts- lieux de la résistance pendant la « manif pour tous »

Elle se souvenait avec bonheur de ces intenses journées, la préparation des cortèges, la confection des banderoles « La loi Taubira ne passera pas ! », « Mariage pour tous = PMA + GPA pour tous «, « Stop à la théorie du genre ! » et la plus belle : « une famille = un papa + une maman », qui résumait tout.

Que de riches heures passées à mobiliser les paroisses, à réserver les TGV pour les provinciaux, à composer des tracts, à implanter les postes de secours.

Elle se sentait si différente de Frigide Barjot. Heureusement que celle-ci avait été rapidement écartée.

Mais si proche de tout ce peuple militant et multiforme, les vendéens arborant le cœur chouan, les familles nombreuses, les bourgeois en loden, les St Cyriens en civil, les prêtres en soutane, les moinillons en sandales, et, de temps en temps, une tête connue, le grand Laurent, cheveux gris et parka rouge pour qu’on le repère, le petit Bruno, lunettes cerclées, pressé de convaincre, le beau François, et ses costume si bien coupés ….

Plus inquiétants, les membres du service d’ordre, bombers et rangers, nuque rasée et regard glacé. Leur rempart contre la racaille. Elle espérait que cela ne serait pas nécessaire.

Elle peinait parfois à assumer la contradiction entre le message d’amour qui justifiait sa foi profonde, et la violence à peine contenue qu’elle détectait chez certains.

Et, pénible souvenir, celui d’un illuminé, Gabriel, profitant d’une bousculade, qui lui avait susurré à l’oreille :

-« Réjouis toi, toi à qui Dieu a accordé sa faveur, le Seigneur est avec toi .. »

Paniquée, croyant à un pervers profitant de la foule, elle l’avait violemment repoussé. La suite s’était perdue dans les slogans « Hollande, t’es foutu, les cathos sont dans la rue ! «

Mais tous ces efforts avaient été vains, la loi était passée.

Elle avait alors traversé une phase de dépression, se réfugiant dans l’introspection. Que faire de son existence ? Quand aurait-elle la chance de rencontrer celui, avec qui elle pourrait, enfin, cueillir le printemps de sa vie ? (Celle- là, elle n’est pas de moi, je viens de l’entendre dans « la plus belle pour aller danser », de Sylvie Vartan, ça ne nous rajeunit pas)

En attendant de le rencontrer, elle veillait à la bonne éducation des gamines confiées à l’institution, donnait des cours de catéchisme, accompagnait les pèlerinages de malades à Lourdes et, pour se distraire, participait aux tombolas organisées au foyer paroissial. Elle venait même de rater le 1° prix, une semaine pour deux au Puy du Fou, thalasso et entrées du parc compris, mais elle ne regrettait rien, un tel séjour, seule, aurait été un désastre.

Le 2° prix, qu’elle avait gagné, n’était pas mal non plus : Trois jours en Judée. Elle partait le 23.

Elles étaient arrivées au pensionnat.

Mais que faisait ce curieux type, sur le trottoir d’en face, avec son bébé sur le ventre ?

Il la regardait d’un air de ravi de la crêche…

Chapitre IV. 24 décembre.   7h  Joseph

Il l’avait croisée il y avait tout juste huit jours, à la nuit tombée, en tête d’une procession de petites silhouettes emmitouflées dans leurs pélerines et se hâtant vers la chaleur des salles d’étude. Ses cheveux blonds, échappés du béret, captaient la lumière des réverbères dans le scintillement des premiers flocons.

Il en était resté scotché, aveuglé d’évidence. C’était elle…

Et depuis, il se surprenait à fredonner en boucle la ritournelle de Maxime Le Forestier « Vous êtes si jolies quand vous passez le soir à l’angle de ma rue ….»

Deux évènements aussi violents, cette rencontre, puis le couffin, avaient crée un bouleversement si profond dans sa vie, qu’il n’avait trouvé d’autre solution, pour tenter de la reprendre en main, que de respecter une routine : couches, biberon, travail, re couches, re biberon.

Et enfin, le moment qu’il attendait, courses à l’épicerie, puis la promenade du bébé, prétexte pour aller guetter son passage sous les murs de l’institution. Emotion si brève, mais si forte, qu’elle en justifiait ses journées.

Il était en panne dans sa thèse, bloqué au milieu du chapitre « Soumission et domination, le yin et le yang de l’économie érotique »

Il avait choisi pour l’illustrer, deux scènes : dans « La fille de d’Artagnan » celle où Charlotte Kady, vénéneuse Eglantine de Rochefort, faisait la démonstration de sa souplesse dans un corps à corps bavard avec Clovis de Crassac, incarné par un Claude Rich au sommet de son art, puis celle où Marina Vlady, la voluptueuse marquise de Parabère, de « Que la fête commence », les yeux clos, accueillait avec un soupir les faveurs de Philippe Noiret, régent jouisseur et blasé, appuyée à la rambarde du perron d’honneur de Versailles.

Ces scènes, jusque- là, l’emplissaient d’un émoi bien compréhensible et stimulaient ses facultés rédactionnelles, mais pas que…

Aujourd’hui, elles ne l’inspiraient plus : il calait, troublé par l’image virginale qui le hantait.

Et, depuis hier, elle n’était plus au rendez-vous.

Lanne et Leboeuf, bien que contraints au régime kebab que leur imposait leur filature, et peu doués d’imagination, eux, ne s’impatientaient pas.

On leur avait dit de le filer, alors ils le filaient, ce qui n’était pas bien compliqué. Ce type était réglé comme une horloge. Mais qu’est- ce qu’il foutait, chaque jour, à l’épicerie, puis pendant cette halte devant cette institution, à regarder défiler des collégiennes ? Que trafiquait il ?

Aujourd’hui cependant, un imprévu allait chambouler leur routine : Joseph venait de sortir sur le trottoir, le porte bébé sur le torse, un sac à la main, et s’engouffrait dans un Uber. Qu’est ce qui lui prenait, si tôt, un matin d’hiver ? Il s’enfuyait ? Les avait-il été repérés ?

Ils le suivirent néanmoins : périph, A1 puis Roissy.

Leboeuf gara la R12, Lanne, plus discret, colla aux basques du suspect, qui se dirigeait vers le comptoir d’ »El Al ».

Le prochain vol pour Tel Aviv était dans une heure. Joseph paya par chèque, il s’expliquerait plus tard avec sa banque, et se dirigea vers la salle d’embarquement. (Ne me demandez pas comment il a fait pour les papiers du bébé, ça nous emmènerait trop loin. C’est un conte, quand même !)

Il avait reçu dans la nuit un court message de Marie Madeleine : « VIENS VITE ET AMENE LE BEBE. RENDEZ VOUS A LA GARE DE BUS DE JERUSALEM LE 24 à 23h00 »

Il n’avait pas réfléchi longtemps, trop content de se débarrasser enfin de son fardeau et de pouvoir ensuite, de retour à Paris, partir à la recherche de sa belle disparue.

Lanne et Leboeuf se précipitèrent vers les locaux de la PAF, se firent connaitre, y déposèrent leurs armes, chargèrent leurs collègues de prévenir leur hiérarchie, et s’embarquèrent à la suite de Joseph. Ils étaient sur un très gros coup !

Chapitre V   24 décembre 23 heures.   Marie Madeleine

Dissimulée derrière un des piliers de la gare des bus, encore très fréquentée à cette heure tardive, Marie Madeleine guettait l’arrivée de Joseph. Personne ne lui prêtait attention sous son voile, parmi les juifs orthodoxes, qui avec leurs nattes et leur grand chapeau lui rappelaient « Rabbi Jacob », mêlés aux familles arabes chargées de baluchons, de cages à poules, ou trainant le mouton de l’aid.

Elle l’aperçut enfin, frayant son chemin dans la foule, lui fit signe de la rejoindre

Sans un mot, elle s’empara du bébé, et vérifia la présence du médaillon qu’il portait au cou.

Joseph aurait voulu poser mille questions, mais, hébété, il ne put que balbutier : « Mais pourquoi ? »

Sans répondre, elle lui rendit l’enfant et lui intima : « Tu prends le bus pour Bethleem, il s’appelle Jésus, tu le remettras à sa mère et tu me rendras le médaillon. C’est à 10km, sois- y à minuit, à l’hôtel « l’étable » »

Il la retint, voulant comprendre. Elle cherchait à se dégager quand elle aperçut Lanne et Leboeuf, facilement repérables dans leurs impers mastic.

- :« Lâche moi, je t’en prie, c’est très important »

Il ne relâchait pas sa pression et elle céda, dans un chuchotement :

-« DGSE, en mission spéciale ! »

Et lui interloqué :

-« Qu’est- ce que tu racontes ! »

La menace se rapprochait, elle dût se faire plus précise :

‘ »Dans le médaillon, une micro puce, avec une partie de la formule d’un traitement anti covid »

Il en était abasourdi, et ne la lâchait pas.

« Le virus, ce n’est pas la Chine, c’est Daech qui l’a libéré, depuis un stock récupéré dans les labos de Saddam Hussein. Ils sont à mes trousses. Je devais convoyer la formule, tu vas le faire pour moi »

« Et toi ? »

« Je détournerai leur attention, jusqu’à ce que tu y arrives. Je dois attendre Melchior, du Mossad, Balthazar, de la CIA et Gaspard, du MI5, ils ont chacun une partie de la formule, l’assemblage se fera dans un labo, près de Bethleem, mais ils ont été retardés, et n’arriveront que le 6 janvier. Il faudra que je tienne jusque- là »

Elle n’eut pas le temps de s’éloigner, Lanne et Leboeuf, persuadés d’avoir localisé le chef d’un réseau de trafiquants, venaient de leur mettre la main au collet en brandissant leurs cartes de police.

Marie-Madeleine comprit sa méprise, ce n’étaient pas les tueurs de Daech mais des flics français, et elle réagit immédiatement :

-« DGSE, je vous réquisitionne pour protéger cet enfant »

Eux, claquant les talons, se mirent aussitôt à sa disposition, mais elle avait déjà fondu dans l’obscurité.

Chapitre VI   24 décembre, minuit. Jésus, Marie, Joseph

Enfin, on y est…

Les néons bleus de l’hôtel « L’étable » clignotaient au bout de la rue, très kitch.

Marie, après une longue journée de visite, les pieds en feu, n’avait qu’une hâte, gagner son lit.

Elle accepta cependant une invitation du guide au bar de l’hôtel, dont le décor et l’éclairage parcimonieux visaient, en rappelant le nom de l’établissement, à créer une ambiance propice aux soirées prolongées, et plus, si affinités…

Au même moment, un individu dont la silhouette ne lui était pas inconnue, suivi de près par deux types à la curieuse allure, déposait un couffin, aussitôt encadré par les deux impairs mastic, le costaud et le chétif, puis se retournait.

Leurs regards se rencontrèrent.

Et ils se figèrent, pour l’éternité….

Les voyez -vous, Jésus, Marie, Joseph, l’âne et le bœuf, qui, dans la crèche, nous rappellent chaque année ce mystère deux fois millénaire ?

Cette année, ils nous amèneront en plus un très beau cadeau, la victoire sur le covid.

Et Circé, me direz -vous ?

Ceci est une autre histoire.

Nous vous souhaitons un très chaleureux Noël.

« Les esprits humains créent les dieux qu’ils adorent et auxquels ils obéissent »  (Edgard Morin)