Suze la Rousse.  Jeudi 26 mars.

Merci de tous vos messages, c’est fort agréable de recevoir des nouvelles et des compliments, mais, s’il vous plait, n’oubliez pas de signer, le système ne permet pas toujours d’identifier l’auteur du commentaire…

Agnès continue à fabriquer des masques, mais à un rythme moins soutenu : Il faut dire que tous les commerçants et les facteurs sont maintenant équipés, la demande s’est tarie.

Et il y a peut- être de la concurrence. Chacun s’y met, la créativité se libère : on a vu, sur internet, des couples partager un soutien-gorge et se coller les bonnets sur le museau. Pourquoi pas, au fond, mais si madame s’épanouit dans des bonnets H, il risque d’y avoir des problèmes d’étanchéité.

Et même les entreprises de textile s’y mettent : la société « Le Slip Français » a lancé des productions, on espère qu’ils ne se tromperont pas d’emballage.

Plus important : nous avons découvert dans le « Canard enchainé » de cette semaine, la cause de la pandémie : le frère de Tariq Ramadan, cul béni et bas de plafond comme il en existe (trop) dans toutes les religions, a affirmé que c’était un châtiment divin, punition du comportement débauché des sociétés occidentales, perverties par le stupre et la fornication. Il faut dire que, vu le parcours judiciaire de son frangin, il sait de quoi il parle.

Et donc la prochaine pandémie sera à la hauteur du péché : un SIDA +++

On n’ose imaginer les équipements de protection que nous tricoteront les cousettes à domicile.

Bon, ça, c’est fait…C’était ma petite revanche sur Clémentine. La génétique est implacable : instit, et donc normative, comme sa grand-mère, elle a décidé de me mettre sous tutelle. Si on la suit dans cette voie, encore un écart, et c’est la camisole !

Heureusement, vous m’avez défendu. Surtout Josette, qui, par ses brillants articles de voyage m’a donné envie de l’imiter. Josette, une fois déconfinés, je viens te faire la bise !

 

J’ai intitulé ce babillage « Nostalgies » et pas « Gaudriole ». Il faut donc que je me reprenne.

Nostalgies car j’ai constaté que l’épisode de la poulette avait fait surgir, chez certaines d’entre vous, des souvenirs lointains, et l’émotion qui va avec. Il ne faut pas gratter très longtemps la carapace pour retrouver l’enfant que nous avons été.

L’enfance pour nous, ça a surtout été « Brétoche », la bicoque que notre grand père avait construite, pièce par pièce, je devrais dire parpaing par parpaing puisqu’il les moulait unitairement, à la sortie de la guerre, à Brétigny sur Orge, une trentaine de km au sud de la capitale. Habitant Paris, nous y allions, en famille, passer les longs weekends et les vacances, au « bon air ».

Il fallait nous voir, le soir tombant, au débarqué du train, traverser vaillamment « la plaine », vaste étendue consacrée aux plantations multicolores du semencier « Lucien Clause », les gamins et les mamans chargés de balluchons, les hommes portant, reliées par une ceinture, les valises sur l’épaule, tous chantant « les gaulois sont dans la plaine.. » ou « 1km à pied, ça use, ça use.. », avant d’atteindre, à 4 km, la maison, et son odeur si particulière après une longue fermeture.

La nostalgie, ce n’est pas cultiver le conservatisme réactionnaire du « c’était mieux avant », ce qui n’était évidemment pas le cas au vu de ce qu’ont vécu nos parents et grand- parents, dans un siècle qui enchaina guerres mondiales et coloniales, mais c’est revivre les moments heureux et l’insouciance de l’enfance, c’est retrouver l’acidité sucrée des « Mistrals gagnants »

Il m’est difficile de comprendre aujourd’hui comment nous parvenions, la dizaine d’adultes et les 8 cousins, à tenir autour de la table. Quand nous retournons, rarement, à Brétigny, la pièce principale, dont les meubles n’ont pas changé depuis, parait tellement petite et encombrée !

Pour le couchage, c’était plus simple : on déployait les lits pliants, et après un chahut joyeux, les marmots y dormaient tête bêche. Quant aux adultes, s’ils parvenaient à trouver le sommeil, c’était le dos ruiné par les matelas défoncés et les sommiers d’un autre âge.

Nous nous régalions de la cuisine de notre grand-mère, en particulier les plats italiens des jours de fête. Les raviolis « maison », à base de ricotta et d’épinards, que l’on se chamaillait pour découper à la roulette de bois, et surtout la polenta, d’une simplicité absolue, mais qu’il fallait mériter, au prix de 3 heures de cuisson, car à l’époque la semoule de maïs précuite n’existait pas.

Pas question d’arrêter de tourner le rouleau de bois qui permettrait de limiter la formation de la croûte, en fond de marmite. Limiter, pas éviter, car c’était impossible, inhérent au procédé, et il fallait donc se relayer, les bras rompus, pendant l’opération.

Puis, consistance atteinte, déverser la masse sur la large planche qui garnissait la table, l’étaler au rouleau, la napper d’une mince couche de sauce tomate, avec des cèpes les grands jours, quand on en avait reçu d’Italie, la saupoudrer de parmesan, prédécouper des rectangles, et ensuite, à l’attaque : chacun, armé d’une fourchette, s’efforçant d’engouffrer au plus vite la portion devant lui, c’est dur, quand on rit de plaisir, avant d’attaquer, en douce et en détournant son attention, celle du voisin…Le nirvana de la convivialité…

On était, on l’aura compris, chez les ritals. Maçons, plombiers, manutentionnaires aux halles, leurs épouses élevant la marmaille, faisant des ménages, les Leonardi, frères et sœurs, cousins proches, chassés par la misère, avaient choisi la France après la grande guerre, celle de 14. Bien que regroupés, faisant « communauté », pour mieux affronter les angoisses du déracinement, ils n’avaient pas totalement coupé les ponts avec le pays, mais décidé l’intégration.

A aucun de leurs enfants ne fut donné un prénom italien, aucun ne parlerait la langue de leurs pères. Mais leur génération garderait ses recettes de cuisine, continuerait à pratiquer la « briscola » jeu de cartes aux règles qui me resteront mystérieuses, à entonner en chœur, à la fin des repas de fêtes, la « Mazzolina dei fiori », les ténors se surpassant au final dans les contre-chants, et à utiliser quelques expressions dialectales, qui ne ressurgissaient que dans de rares circonstances, toujours les mêmes.

Qui pourra traduire « a basen ! », répété crescendo lorsque la boule de pétanque inexorablement, se rapproche, et arrachant le point, s’immobilise enfin, à touche-touche du bouchon ?

Car, à Brétoche, il y avait un terrain de boules, où notre grand père entrainait les hommes, pas toujours enthousiastes, à l’heure de la sieste, et pour les femmes, celle de la vaisselle, chacun sa place quand-même, on était bien chez les ritals !

Il y avait du progrès d’ailleurs : à ce qu’on nous disait, du temps des arrières grands-parents, la nonna restait debout pendant le repas du patriarche, attentive à le servir.

Nous, les gamins, aux boules, on tenait l’ardoise pour compter les points.

Et, les jours de canicule, les baignades dans l’Orge, vélos abandonnés sur les berges, dans les hurlements de rire et les éclaboussures…

Si nous nous sentions plus proches de nos grands-parents maternels que de notre « papé » provençal, c’était, bien sûr, parce que la distance nous le rendait plus étranger, et parce que, ayant eu 11 enfants et une ribambelle de petits enfants, il ne pouvait, sans doute, être aussi attentif à chacun.

Ils étaient, eux, toujours présents, d’une gentillesse infinie et d’une simplicité absolue. En témoignent ces souvenirs si personnels que, sans le confinement qui favorise l’introspection et l’impudeur, je ne les aurais sans doute jamais partagés : le jour de ma communion, sans malice, je racontai à mon grand- père qu’un de mes camarades avait reçu une montre en cadeau. « En veux tu une ? », me dit- il en débouclant son bracelet et me tendant la sienne, …Je l’ai conservée longtemps.

Quant à ma grand-mère, alors qu’étudiant, je logeais chez eux durant un travail d’été que mon oncle, détaillant en fruits et légumes, avait eu la gentillesse de m’assurer, et avec qui je connus des moments inoubliables, les chaudes nuits d’août, dans ce monde nouveau pour moi, le marché de gros de Rungis, ma grand-mère donc, qui me proposa de recoudre un accroc que j’avais fait à un vêtement.

Elle me le rendit, résultat pas terrible avec ses mains déformées par l’arthrose, en me disant, dans son français mal maitrisé : « j’ai fait ce que j’ai poulu »

La larmichette me vient.

Alors, pour retrouver bien vite le sourire, une autre histoire de nostalgie, pour les amoureux de cinéma :

Me revient en mémoire, un journaliste télé conduisant, à une heure de grande écoute un entretien avec Jean Rochefort, au soir de sa vie, et qui le questionna, avec l’onctuosité d’un Jacques Chancel :

« Après une centaine de films, réalisés par les plus grands, avec les plus séduisantes actrices, auriez- vous, cher Jean Rochefort, des regrets ? »

Et le vieux brigand, yeux malicieux et moustache frissonnante, de répondre :

« Oh que oui ! Je regrette mes érections de jadis »

Même hors des périodes de confinement, les journalistes peuvent connaitre des grands moments de solitude….

A très bientôt

 

 

 

8 commentaires pour “2020 03 26 Nostalgies

  1. jean louis le 26 mars 2020 à 11 h 12 min a posté:

    Je ne connaissais pas l’anecdote de la montre , très touchant.

    Par contre lors de ton job d’été, je pense que nombre d’entre nous aimeraient bien entendre parler de la fille de la marchande de fraise……

  2. jean louis le 26 mars 2020 à 11 h 18 min a posté:

    Bis , j’ai eu Françoise au téléphone qui elle s’est souvenu de l’exécution d’une poule par maman lors de notre bref séjour à La Maclarde (entre Orange et Caderousse pour les gens au nord de Montélimar).

  3. Angelo le 26 mars 2020 à 13 h 15 min a posté:

    Promis après le confinement je te fais une polenta.
    Ça m’a fait très plaisir de constater que tu connaissais cette façon très conviviale de la partager et de la déguster…. Comme chez mon tonton Albert(o) de Nice !
    Et moi aussi j’ai eu une montre offerte par ma marraine pour ma communion…. Et le magasin à Cagnes / Mer existe toujours !
    Bises à tous.
    Prenez soin de vous et de vos proches.

  4. Nadine le 26 mars 2020 à 13 h 34 min a posté:

    Tiens, ça me rappelle »mémoire de fille « que j’ai rédigée et finie l’an dernier pour mes fils, pour Bertrand, pour moi surtout. Même très entourée, une odeur, une image, un air vous sautent parfois à la gorge sans prévenir et le temps réel s’efface. On tire sur un fil et la pelote se déroule, pas immédiatement, mais lentement, par hoquets, sur plusieurs semaines ou mois ;pour moi, sur plusieurs années pour cette centaine de pages. Je ne regarde jamais dans le rétroviseur du passé mais « l’accouchement »final a répondu , sans que j’en aie jamais parle, à une demande de Romain qui disait connaître le père et la mère que nous étions, mais pas l’homme et la femme que nous avions été. Alors, avant que le chef d’oeuvre soit en péril

  5. Christine et Daniel le 26 mars 2020 à 16 h 32 min a posté:

    Des moments passés que tu racontes si bien, ça fait chaud au coeur dans cette période difficile. A très vite
    Merci Patrice bises à tous les deux

  6. michel et emma le 26 mars 2020 à 18 h 08 min a posté:

    coucou !merci pour tous ces beaux souvenirs de Bretigny.
    Bravo a Agnes pour les masques !
    Tu nous feras de la polenta???
    Tu vas trop vite Patrice .Je mets plus de temps a lire tes chroniques que toi a les ecrire.
    Je viens de faire une longue reponse mais crac!! je l’ai perdue e appuyant sur le mauvais bouton …
    tant pis .
    A bientôt
    bises
    bon confinage (j’en ai marre du mot confinement!)

  7. Francois le 26 mars 2020 à 19 h 56 min a posté:

    Nos origines familiales géographiquement variées nous ont amenés très tôt à voyager en « terre » étrangère au grè des retrouvailles de nos ainés : la découverte d’un patrimoine immatériel, son partage dans une ambiance affectueuse et souvent festive. Quelle chance.
    François

  8. Clémentine le 27 mars 2020 à 15 h 39 min a posté:

    Dis donc?! Tu sais ce qu’elle te dit la « normative »?! Non mais…

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