Lundi 18 décembre. Jour 25
De bon matin, le canal de Beagle est toujours aussi somptueux.
Nous avons décidé d’aller jusqu’au bout du bout : l’estancia Moat est située sur le rio Moat, qu’on franchit par un pont rustique, à la fin de la route provinciale « i » et du canal de Beagle, sur l’Antarctique.
En fait d‘estancia Moat, il ne subsiste qu’une maisonnette portant la mention « Estancia Santa Clara. 1914 », quelques chevaux et, sur la pointe, une station météo. Nous y pénétrons et le jeune gardien, ravi de la visite, (il doit en avoir 3 par an), nous accueille chaleureusement et nous présente son compagnon de pause café, sans doute le propriétaire de l’estancia, célèbre pour avoir sauvé des naufragés au prix d’une course à cheval de 3 jours.
Il nous commentera ensuite le panorama au sud, l’île « Picton », et sa forme d’homme couché, et les petites iles « Nueva » et Lennox, toutes trois rendues au Chili en 78. Au-delà, les îles du Parc National du Cap Horn. Plein est, le long de la côte, le phare de la Punta Falsa.
Heureux d’avoir égayé leur journée, nous rebroussons chemin jusqu’à l’estancia Harberton.
Indépendant depuis 1816, et sous la coupe de caudillos pendant presque tout le XIX° siècle, l’Argentine s’engagea à partir de 1879 dans la « Conquista del desierto », campagne militaire visant à nettoyer les frontières de la partie colonisée du pays. Dans ce cadre elle envoya en 1884 une frégate en Terre de feu pour reconnaitre les rives du Canal de Beagle. Son équipage aura la surprise d’y découvrir une mission, dirigée par un pasteur anglais, Thomas Bridge, tête de pont de l’expansionnisme britannique. Celui-ci, orphelin adopté par des missionnaires, avait grandi aux îles Malouines où il apprit la langue Yamana. Suffisamment convaincant, lors de séjours en Angleterre, pour rassembler les fonds nécessaires à l’établissement d’une mission en Terre de feu, il parvint ensuite, avec sa famille, a évangéliser en 15 ans un millier de membres de l’ethnie Yamana, auprès desquels il sut établir un climat de confiance et d’échanges, lui permettant, entre autres, de compiler un dictionnaire de 32 000 mots Yamana, unique en son genre.
Bref apparté : la Terre de feu était peuplée au XIX° siècle de 4 ethnies réparties en petits groupes familiaux, vivant dans des conditions pré « âge de fer », de la pêche de coquillages et de la chasse aux phoques et pingouins pour les uns, de l’élevage de guanacos pour les autres, plus au nord. Les yamanas vivaient dans la partie sud est, dénués de tout mais non sans une riche cosmogonie, quoiqu’en ait jugé Darwin, qui participa à une expédition sur le canal de Beagles et les qualifiait de « sous hommes sans spiritualité »…
En témoignage de reconnaissance pour son action, et souhaitant sans doute l’éloigner d’Ushuaia, dont la construction sera entreprise à cet endroit afin d’établir l’autorité sur la région, le gouvernement offrit à Thomas Bridges de s’installer sur un autre lieu, à sa convenance. Il choisira ce qui deviendra l’estancia Harberton, du nom du village natal de son épouse : 20 000 hectares, 75 km à l’est, sur la rive nord du canal de Beagle.
La famille Bridges, y construira sa maison, importée d’Angleterre.
Elle développera une exploitation moderne, spécialisée dans l’élevage de moutons et le bucheronnage, qui occupera une cinquantaine de personnes et fonctionnera jusque dans les années 2000.
Complètement autonome du fait de l’isolement, elle aura ses propres moyens de navigation pour assurer l’approvisionnement et l’expédition des produits, ainsi que la transhumance vers les pâturages d’été dans les iles de l’archipel. Désenclavée depuis 1978 et la construction de la route « i », elle est aujourd’hui entièrement tournée vers le tourisme. On y visite l’exploitation, dont le bâtiment où s’effectuait, en série, la tonte des moutons, et le parc, la maison restant réservée aux propriétaires, descendants des fondateurs.
Thomas Bridges, lui, mort en 1898, aura sans doute eu la douleur de constater les effets concrets de la « Conquista del desierto » : l’extermination des populations indigènes, obstacles à la colonisation, par l’armée argentine. Ils seront remplacés par des colons bien plus sympathiques : les bagnards, qui construisirent la ville.
Petit saut à Puerto Almenza, qui a dû connaitre de meilleurs jours grâce à la pêche des crabes royaux, complètement éteint et misérable aujourd’hui : les pancartes mettant en garde contre la Maria Roja, une algue toxique, en sont elles l’explication ?
Et enfin, Ushuaia la mythique.
Bivouac à côté de la patinoire. S 54° 48’ 51.0’’ W 68° 19’ 14.0’’
Km 160 Total 7902
Soleil 4h41 / 22h08 9°/15°
Mardi 19 décembre. Jour 26
Ushuaia, se veut la ville du bout du monde. C’est inexact, car c’est en réalité l’apanage de Puerto Williams, sur la rive sud du canal de Beagles, un gros casernement autour d’une base navale chilienne.
Rendue célèbre en France par Nicolas Hulot, Ushuaia est devenu un passage obligé pour la jet set, mais aussi pour les routards du monde entier. Elle y a gagné la prospérité économique grâce à une forte activité commerciale tournée vers l’ « outdoor » et la montagne, qui font ressembler l’artère principale, la rue San Martin, à ses cousines des stations alpines (salaisons et fromages en moins..) et on y trouve même un « Hard Rock Café » et des promeneurs de chiens, comme à la capitale.
Son attrait est unique puisque des bateaux de croisières (même des français…) mouillent dans le port de cette station de treks, à deux doigts de l’Antarctique. Elle y a perdu son charme originel, défigurée, sur le front de mer par le casino, vilain bâtiment de béton face au ponton du part de plaisance.
Elle a néanmoins conservé quelques maisons qui permettent d’imaginer ce qu’était Ushuaia avant Nicolas H.
Et le remorqueur, échoué dans le port depuis 1954, reste le symbole le plus connu de la ville, surveillé par les goélands.
Notre journée sera utilitaire : courses, laverie, cartes postales, internet, la routine quoi….On aura quand même le temps de faire un tour en ville et de visiter le musée maritime. Ce musée, qui rassemble au sein d’une base navale plusieurs musées thématiques, est géré par une association à qui l’état, trop heureux, a concédé l’exploitation de l’ancienne prison. Ushuaia a en effet accueilli trois établissements pénitentiaires, prison « ordinaire », récidivistes, et bagne militaire. Ce dernier, établi dans l’ile des Etats, a été transféré en 1902 vers Ushuaia pour raisons « humanitaires », on en imagine les conditions effroyables…
Regroupés dans cet établissement, les bagnards construisirent leur prison ( sans clôture, où auraient ils pu aller?), puis la ville, et en assurèrent l’alimentation en bois de chauffage jusqu’en 1947, date de la fermeture du bagne. Une aile a été conservée « dans son jus », comme disent les agents immobiliers qui veulent vous vendre une ruine, les autres abritent des expositions dont une, passionnante, de maquettes des navires qui explorèrent la région et l’Antarctique.
Les bagnards étaient transportés jusqu’aux coupes de bois par un petit train à voie étroite, qui fonctionne encore pour les touristes, et les conduit au coeur du Parque Nacional Tierra del Fuego.
Bivouac à la gare du petit train
S 54° 49’ 54.3’’ W 68° 25’ 26.5’’’
Km 37 Total 7939
Soleil 4h39 / 22h09 12°/18°
Mercredi 20 décembre. Jour 27
Visite du Parc. Matinée scrabble, il tombe des cordes. Nous braverons les intempéries l’après midi, pour suivre le sentier « Hito XIV » le long du lac Acigami (ex Roca) . Très belle ballade de 3h dans une superbe forêt, qui se terminera à la balise , bien symbolique, marquant la coupure artificielle Nord/Sud avec le Chili .
Et les vues sur le lac, à deux heures d’intervalle, montreront combine le temps change rapidement en Terre de Feu!
Nous nous rendons jusqu’à Bahia Lapataia, à l’extrême ouest du parc. Au passage, nous constaterons les dégats causés par les castors : 25 couples ont été importés du Canada en 1946 dans l’intention de développer une activité pelletière. Sans prédateurs, ils se sont multipliés et ont colonisé toute la Terre de feu, ravageant le lit des rios, les espèces de faux hêtres présents dans la région ne supportant ni les coups de dents des rongeurs, ni l’immersion de leurs racines dans les retenues d’eau derrière les barrages créés par les castors. Et, ironie toujours, la qualité de la peau des castors de la région les rend impropres à l’industrie de la fourrure, qui est par ailleurs bien mal en point.
A Bahia Lapataia, fin de la route N°3 (Buenos Aires : 3079km), belle vue sur la baie et, dans le lointain, les iles du Canal de Beagle.
Bivouac au camping de laguna Verde, avec les oies.
S 54° 50’ 44.0’’ W 68°34’ 47.8’’
Soleil 4h37 /22h11
Km 20 Total 7959
Ce message est expédié de Ushuaia, que nous quitterons demain.
JOYEUX NOEL A TOUS
Agnès & Patrice



































Bonjour à vous.
Que de souvenirs revivons-nous grâce à vous !
Avez-vous reçu mon envoi du point GPS pour le réveillon (ou, et, mon journal expédié par wetransfer ?). Allez-vous « l’utiliser » ? Je ne pense pas puisque vous dites que vous « quittez Ushuaïa demain ».
Vite, vite la suite…
Nous vous souhaitons une merveilleuse fin d’année et l’excellente continuation de votre périple.
Salut les globe-trotters,
avec sa bouille joufflue et sa grosse queue, le castor jouissait d’une réputation flatteuse. L’ayant vu à l’œuvre vous lui taillez un costard.Par contre c’est super sympa de venir égayer la vie austère des habitants de ce bout du monde (Ah la french touch !).
Joyeux Noël austral et bon réveillon, arrosé d’un excellent vin argentin ou chilien.
Bises
Josette et Francois
Salut les routards
J’ai expertisé la photo de famille des Yanama ce qui me conduit à suggérer une datation plus précoce que l’age de fer
1) ils sont accroupis
2) ils ont l’air un peu constipés
3) le photogrraphe les fait ch…
conclusion : c’est l’age (ou l’heure) du bronze
Noël au bout du monde, ça a quand même de la gueule!
On a essayé de vous joindre pour vous souhaiter un joyeux Noël en direct mais pas de réponse. Sans doute pas de réseau.
Lou a adoré ses rollers, si on a le temps (et le beau temps), on ira les essayer demain.
On vous embrasse, on vous souhaite un joyeux Noël et à très vite sur WhatsApp.
PS: François, l’âge du bronze m’à fait mourir de rire!
De passage à la maison entre montpellier et mortagne, les festivités se passent bien.
vous avez du manger de la super viande pour le réveillon.
petit complément sur les autochtones: comme ils avaient un peu tendance à manger les moutons des estancias, les propriétaires (souvent des compagnies anglaises, encore eux!!) les faisait empoisonner ou chasser comme des lapins….
bises et bon passage à 2018